9,17. C'est la note qu'a reçue Grifin Colapinto pour sa première vague lors de la finale du Hurley Pro Sunset Beach qui l'opposait à Filipe Toledo ce dimanche 19 février. Et pour décrocher cette note, il ne lui a fallu que deux manœuvres. Un simple carve et un snap.
Qu'est-ce qui explique que l'Américain s'approche de la note parfaite en ayant frappé que deux fois la lèvre de sa vague, alors que dans des compétitions fédérales, votre pote n'a jamais dépassé les 4 points en enchaînant roller sur roller. Cette question relève sans doute pour lui des mystères du jugement.
Et alors que le Championship Tour (CT) bat son plein et que, comme à chaque édition, des tas de mécontents viennent crier leur désaccord sous l'annonce des résultats, on s'est dit la chose suivante. Il serait peut-être judicieux de résoudre une bonne fois pour toutes ce fameux mystère du jugement.
Comment notent les juges et sur quelles bases s'appuient-ils ?
On a posé la question à Paul Cassagne, qui nous avait déjà éclairés sur le concept de priorité par le passé. Juge de compétition depuis 2015 et spécialisé dans les compétitions shortboard, il nous en dit plus sur cette face cachée de l'iceberg.
La notation d'un juge
Paul nous en explique le déroulement. Après qu'une vague ait été surfée, pour qu'une note soit attribuée, les 5 juges présents dans la tour vont noter la vague, puis « la note la plus haute ainsi que la plus basse sont enlevées et on gardera les trois notes du milieu. Ainsi, ça donnera la bonne moyenne, la plus équilibrée. Et le chef juge est derrière pour harmoniser les notes si le besoin s'en fait sentir.»
Mais avant même de donner une note, les juges raisonnent en catégorie de vague. Une manière de coordonner le jugement entre les juges et ainsi d'éviter les gros écarts entre les notes. « Quand la vague est terminée, avant de penser en note on va penser en catégorie de vague. On va se dire ok, cette vague, c'est une vague moyenne, elle sera entre 4 points et 5,9 points. »
Les attentes d'un juge
Pour faire court, voici ce qu'un juge attend d'une vague d'un compétiteur : « On va regarder si les manœuvres sont radicales, contrôlées et dans une partie critique de la vague. On va regarder l'engagement et le degrés de difficulté et on va vouloir voir une variété dans le répertoire de manœuvre ainsi que de la vitesse, du flow et de la puissance.»
Mais cette description n'est qu'un condensé des attentes des juges. Elle est pour l'instant incomplète, car il y a beaucoup de critères supplémentaires à prendre en compte et, on le verra, beaucoup de spécificités.
Les critères qui peuvent affecter la notation
Parmi ces critères, il y a le type de vague et les conditions. « On ne jugera pas de la même façon une vague à Teahupo'o et une vague à Anglet. De la même façon qu'on ne jugera pas pareille une vague d'Anglet qui est onshore avec 15 sections le matin et qui devient tubulaire l'après-midi. »
Certaines vagues et certaines conditions vont donc favoriser un type de manœuvre bien précis. Comme à Teahupo'o justement, où l'on s'attend à voir essentiellement des barrels, mais toujours en respectant le leitmotiv des juges : des barrels bien engagés, contrôlés, dans la partie critique de la vague.
Une des autres spécificités du jugement dans le surf, c'est la subjectivité. Une autre difficulté à prendre en compte pour les juges. Car le surf, c'est une pratique qui se situe à mi-chemin entre le sport et l'art, au même titre que le patinage artistique par exemple. Ce n'est pas un sport comme le foot ou le golf où l'objectif est déterminé, en l'occurrence mettre la balle ou le ballon dans une zone définie.
Non, l'objectif lorsqu'on participe à une compétition de surf c'est d'engranger le plus de points en faisant briller son style. Et des styles, il y en a des tas, c'est donc beaucoup plus dur de s'en détacher, surtout quand on juge un style qu'on affectionne.
« Certains juges vont préférer les styles des Brésiliens beaucoup plus aériens, d'autres vont préférer ceux des Australiens. Mais on garde quand même notre fil conducteur, qu'est-ce qu'on veut voir. Si le mec c'est un énorme carveur mais qu'il fuit tout le temps les parties critiques et qu'il va mettre ses carves très loin, c'est un style qu'on peut aimer mais ce n'est pas forcément ce qu'on recherche » rajoute le juge.
Le chef juge, chef d'orchestre du jugement
« Après c'est des choses qui s'adaptent tout au long de la journée, ça bouge très vite. » En effet, il n'est pas rare que les spots deviennent capricieux d'une série à l'autre. Au fil de ces changements de conditions, les critères de jugement peuvent eux aussi évoluer.
Une tendance générale semble quand même se dégager sur ces fameux critères. « Trois-quarts du temps, dans 90% des compétitions, ton chef juge te dira : aujourd'hui on va favoriser les manœuvres radicales dans la partie critique de la vague, les manœuvres engagées avec du flow. » C'est là le fil rouge des juges, leur canne d'aveugle pour les guider dans ce brouillard de styles, de conditions et de préférences différentes. « En shortboard c'est ce qu'on veut voir »
La cohérence dans les notes
Voilà, on espère que ce mystère est désormais résolu et que votre pote comprendra enfin ses résultats calamiteux en compétitions. N'oubliez pas de faire attention à toutes ces spécificités avant vos compétitions mais surtout, n'oubliez pas les mots d'ordre : engagement, contrôle, variété, puissance et vitesse dans des zones critiques de votre vague.