On connaissait son sérieux penchant pour les manoeuvres appuyées, celles qui exigent un engagement absolu et liquident l'épaule d'une vague. Ce qu'on ignorait, c'est que Mathis Crozon allait les travailler jusque dans les montagnes du Pays basque, là où l'air contient moins d'oxygène, la végétation se raréfie et le son de la mer disparaît.
Il y a cinq ans, son grand-père lui a transmis sa passion et depuis, le surfeur réunionnais est un fou de petite reine. Dès que son emploi du temps le lui permet et que l'océan lui laisse un peu de répit, le vice champion d'Europe Junior 2018 enfourche son vélo et part à la conquête des routes de sa région d'adoption.
À la veille du départ du Tour de France, Mathis se confie sur son rapport au cyclisme : l'héritage de son grand-père, le rôle de ce sport dans sa préparation physique et son estime pour Thibaut Pinot.
Surf Report : Il paraît que pour ta toute première sortie à vélo, tu as parcouru plus de 95 kilomètres. C'est vrai ?
Mathis Crozon : Oui, c'était en 2015 avec mon grand-père et son club, à Marennes en Charente-Maritime. Avant d'y aller, je ne me rendais pas vraiment compte de ce que ça représentait. J'étais en bonne condition physique, alors je l'ai accompagné. Mais les 30 derniers kilomètres, c'était vraiment dur. Je rallais en queue de peloton, j'avais mal au cul à cause de la selle, j'en avais marre, j'étais fatigué...
Alors comment t'es venue cette passion pour le vélo ?
Grâce à mon grand-père, justement. Pour cette première sortie, il m'a dit : "On y va tranquille, ça va être l'occasion de découvrir..." Mais même si j'étais beaucoup plus jeune que lui et tous les autres cyclistes de son groupe, j'ai eu du mal à suivre car ils roulaient fort ! Malgré tout, j'ai tout de suite accroché et depuis, je n'ai jamais arrêté.
À quelle fréquence tu roules aujourd'hui ?
Quand il y a des vagues et des entraînements, ça m'arrive de ne pas toucher au vélo pendant plusieurs jours car mon sport principal reste le surf. Mais quand les conditions ne sont pas bonnes, je peux faire des semaines à 300/350 kilomètres. J'ai déjà essayé de combiner les deux, mais physiquement c'était dur à assumer.
Quelles sont tes routes d'entraînement au Pays Basque ?
En vélo, on peut se retrouver seul dans la campagne, sur des routes avec des paysages magnifiques. J'aime bien rouler vers Saint-Pée-sur-Nivelle et ses alentours, Itxassou, Espelette, Saint-Étienne-de-Baïgorry... Et il y a plein de cols à faire.
Comme l'Artzamendi, un col mythique du Pays Basque qui fait partie des ascensions les plus raides de France (10,9km à 7,7% de moyenne avec des passages compris entre 18% et 21%), où tu vas régulièrement ?
J'ai dû le faire huit fois en tout. C'est une ascension vraiment difficile que je commence à bien connaître. À chaque fois que j'y vais, je me dis que c'est la dernière fois, car je finis à bout physiquement. Au final, j'y retourne toujours. L'Artzamendi, c'est un challenge. C'est dur et c'est très raide, mais j'aime ça. Plus on le fait et plus on parvient à se jauger. Et surtout, là-haut, la vue sur les Pyrénées et l'océan est superbe.
Au début du mois de juillet, ton grand-père t'a accompagné au sommet...
Quand je lui ai parlé de ce col, il voulait absolument le faire. Mais il doutait un peu de ses capacités. Je lui ai montré des vidéos, expliqué qu'il pouvait monter à son rythme, s'arrêter s'il le fallait pour reprendre de l'énergie. Ce col, il faut le faire à sa manière, ne pas rouler pour un autre. Il l'a fait et j'étais trop heureux d'avoir partagé ce moment avec lui. Malgré son âge (71 ans, n.d.l.r), il m'a impressionné. L'Artzamendi, n'importe quel cycliste dira que c'est un col difficile. D'ailleurs, on le surnomme "l'Enfer Basque".
Tu relèves d'autres défis de ce genre-là ?
Avec mon père, on prévoit de faire la traversée des Pyrénées à vélo. Il se prépare à fond alors que moi, je n'ai même pas 100 bornes dans les jambes et je ne me sens pas prêt physiquement (Mathis se remet tout juste d'une blessure au genou, n.d.l.r). Ça me fait un peu peur, mais ça va le faire. C'est précis le vélo, ton gabarit décide du type de coureur que tu seras. Mais même si je n'ai absolument pas un physique de grimpeur, j'adore la montagne.
Le circuit Qualifying Series est exigent, notamment d'un point de vue physique. Le cyclisme est-il une bonne préparation ?
Je fais du vélo parce que j'aime ça et qu'au fil du temps, j'y ai vraiment pris goût. Mais oui, je perçois aussi ce sport comme un outil de préparation physique. Le cyclisme demande un certain investissement, personnel mais aussi financier. Dès le début, j'ai acheté un bon vélo et j'y ai mis beaucoup d'implication en y allant à fond. C'est un sport qui développe ton endurance et ça, beaucoup de surfeurs l'ont compris. Ils sont de plus en plus à faire du vélo, comme Joan Duru qui en fait depuis un certain temps.
C'est important pour un surfeur de sortir de son univers, s'aérer l'esprit et varier les pratiques sportives ?
Parfois, on a besoin de sortir de notre bulle. Surfer, s'entraîner, dormir, manger... Ça fait du bien de changer nos routines. Moi, je n'ai besoin de rien d'autre que d'aller rouler dans le Pays basque, croiser des gens, rouler avec eux, discuter, voir des paysages... C'est important de se vider la tête.
Le Grand départ du Tour de France sera donné demain à Nice. Es-tu le genre de personne à t'enfermer trois semaines chez toi, étendu sur un canapé, à regarder les étapes du début à la fin ?
En fait, je suis quelqu'un qui adore faire la sieste (rires). Pendant le Tour, je regarde le départ, je m'endors et généralement, je me réveille quand il reste une vingtaine de kilomètres et que ça commence à bouger. Au-delà, je suis pas mal l'actualité du cyclisme, je suis abonné à des coureurs sur les réseaux sociaux... J'ai regardé le Tour de Lombardie il y a deux semaines, j'ai aussi suivi le Tour d'Italie l'an passé. C'est un sport incroyable...
Justement, comment entrevois-tu cette 107e édition du Tour de France ?
L'an passé, Julian Alaphilippe a fait un immense Tour avec 14 jours en jaune. Comme il dit souvent, il ne court pas pour le général mais il a montré qu'il était capable de faire partie des meilleurs. Egan Bernal sera fort, mais rien n'indique qu'il sera dans sa meilleure forme. J'aime beaucoup Thibaut Pinot, il est en bonne condition physique en ce moment. Mais le Tour, c'est long et ça use. J'espère qu'il ne connaîtra pas de blessure cette année. Qu'un coureur français remporte le Tour, ce serait génial !
Photo à la une : ©Rémi Blanc/WSL