Né à Tokyo en 1952, Mayumi Tsubokura est le japonais le plus célèbre de la culture surf. Désireux de se mesurer aux vagues hawaiiennes, il entreprend en 1971 un voyage à Oahu qui va le transformer. Il sera rapidement surnommé « Kamikaze boy » sur le North Shore par ses amis Rabbit Kekaï, Eddie Aikau, Gerry Lopez ou encore Darrick Doerner. Après avoir voyagé dans le monde entier, il entre en 1973 à l’Ecole des Beaux Arts de Paris afin d’élargir sa technique artistique. Il se met à peindre des vagues de Tahiti. Sur les toits de Paris ou dans la sérénité Basque, il peint ces vagues et ces atmosphères qui l’habitent. En 2000, désireux de voir un film à la hauteur de ce qu’est le surf, il met en relation Franck Marty et Darrick Doerner et c’est ainsi que naîtra le documentaire Riding Giants. Cet artiste exceptionnel a accepté de répondre à nos questions sur sa vie, son art et sa relation avec l’océan.
Ocean Surf Report : Bonjour Mayumi, merci de prendre quelques minutes pour répondre à nos questions, peux-tu te présenter pour les personnes qui ne te connaissent pas ?
Mayumi Tsubokura : Je m’appelle Mayumi, je suis japonais, je suis un artiste peintre et je vis à Paris. Mon père, Genzo Murakami, était un écrivain. J’ai commencé à peindre à l’âge de 6 ans ou 7 ans. Ma mère m’a fait prendre des cours de peinture, une fois par semaine, mon professeur s’appelait Akinori Kumagawa. J’ai fréquenté une école d’art de Tokyo, et j’ai fait un échange aux Beaux-arts de Paris à l’âge de 21 ans, et depuis, je vis en France. J’ai exercé de très nombreux métiers et rencontré énormément de gens depuis. J’ai pratiqué dans ma jeunesse le karaté kyokushinkai, qui est le karaté « full contact », le judo, le kendo, l’iaïdo… J’ai également appris dans les dojos que je fréquentais les massages japonais, ceux que l’on apprend pour remettre en place une épaule luxée, par exemple, et répondre aux urgences de ces entrainements très violents pour le corps. Parallèlement, j’ai découvert le monde du surf, monde à qui je suis lié par mes amitiés. Parce que je massais les surfeurs et parce que je peins leurs vagues depuis plus de trente ans.
OSR : Ton surnom est « Kamikaze boy », une anecdote à nous raconter ?
MT : En fait, il n’y a que les « boys », Gerry Lopez, Darrick Doerner, Eddie Aikau… qui m’ont appelé comme ça, il y a 40 ans. C’est parce que je faisais du bodysurf sans palmes à Pipeline qu’ils m’ont donné ce surnom... Parmi mes amis, Carla Bruni m’appelait « Mayumi l’unique », Adriana (ex Karembeu) « Sweetest Mayumi », Gary Elkerton, lui, disait que je suis « l’homme avec des yeux dans les doigts ». Je préfère qu’on m’appelle par mon prénom, tout simplement !
OSR : Qu’est ce qui t’as donné envie de faire de la peinture ?
MT : Au tout début, étant enfant, j’ai dessiné les choses que je voulais manger… Je dessinais énormément, j’adorais ça. Mes premières peintures de vagues, c’était à Tahiti, il y avait beaucoup de surfeurs, personne n’avait vu Pipeline, il n’y avait pas de magazines de surf, pas de photos, pas d'internet ! Alors je devais montrer comment c’était, devant, derrière, sur le côté, de Ehukai beach park ou côté Off the wall… Les vagues sont différentes. Ça leur parlait vraiment et ça m’a encouragé.
OSR : Qu'est-ce qui fait une bonne peinture pour toi ?
MT : Là, une bonne peinture, j’ai envie de rentrer dedans. Par exemple, les peintures de Maxfield Parrish. Quand un seul coup de pinceau suffit. La subtilité, la simplicité. En fait, il n’y a pas d’ingrédients magiques. Tout est question de sensibilité.
OSR : Qu'est-ce que t'apporte la peinture ?
MT : La paix. Quand je peins, rien n’existe à côté, c’est mon univers ! C’est l’essence de l’art, quel qu’il soit.
OSR : Quelles techniques utilises-tu ?
MT : Dans le passé j’ai utilisé toutes sortes de techniques, mais là j’utilise une peinture similaire à la peinture à l’huile, l’acrylique. Techniquement ce n’est pas différent, mis à part le temps de séchage. Depuis quelques temps, j’utilise des markers à alcool, ce qui me permet d’apporter des retouches très vivantes.
OSR : Quel est ton spot favori à peindre ? Ton plus beau line up ?
MT : Pipeline/Backdoor, car c’est la vague la plus belle et la plus dangereuse. J’ai vu tellement de choses-là bas. Même si on est un très bon surfeur, personne n’est à l’abri d’un coup de malchance. Tout le monde respecte cette vague. C’est la beauté fatale. Malik Joyeux, que je connaissais bien, était un surfeur parfait et pourtant il y est tombé. C’est ce qu’il y a de plus symbolique dans le monde du surf. Le magique, et le tragique. Je suis hanté par cette ambivalence dans ce spot.
OSR : Pourquoi avoir choisi le monde du surf ?
MT : C’est le seul univers où les gens ont un esprit pur, débarrassé du superflu. C’est un grand égaliseur, un absolu. Une vague est un dragon, petit ou gros. Les surfeurs sont des héros. Leur simplicité et leur intrépidité sont uniques. Je ne me sens vraiment bien que dans cet univers-là. Si vous voyez Gerry Lopez, Layne Beachley, ou Laird Hamilton signer avec leurs mots mon livre d’autographes, vous pouvez imaginer à quel point je suis heureux d’avoir choisi ce monde-là…
OSR : Quelle est ta relation avec la culture surf ?
MT : Le surf est un mode de vie, c’est bien plus qu’une culture. Les valeurs que le surf portent sont simples mais de très grande importance. Pour moi, la « culture surf », celle qui se vend, n’est rien comparée au surf, la pratique en elle-même. Moi-même, j’essaie comme je peux de rendre la beauté du surf à travers mes peintures, mais je sais que je suis très loin d’égaler la nature dans son spectacle. J’essaie de comprendre. Je suis un imitateur.
OSR : Quel lieu, personne, spot aimerais-tu peindre un jour ?
MT : En ce moment, je peins des portraits. Des hommes, des femmes, des enfants. Je ne veux pas que l’on pense que la nature est plus importante que l’homme dans ma peinture.
OSR : Quelle est ta plus belle œuvre ? Pourquoi ?
MT : « Eddie », cet Hokulea… En faisant cette toile, j’ai rendu, dans l’immense vague, la nuit, la lumière ce que je ressentais de cette histoire. C’est une tragédie terrible, et ce tableau symbolise ce drame, c’est très, très chargé émotionnellement pour moi. La légende d’Eddie est méritée, il représente ce qu’est le surf, même l’océan, mieux que quiconque pour moi.
OSR : Quelles sont tes influences ?
MT : Hokusai est mon inspiration première. J’essaie de refaire ce qu’il a fait, aujourd’hui, avec une autre technique, mais un peu avec la même sensibilité. Mon père collectionnait les estampes, Hokusai, Hiroshige, Okyo… et cela m’a bien évidemment influencé au tout début. Adolescent, j’ai découvert la peinture européenne. Je pense que Maxfield Parrish d’une part, Musha d’autre part, ont été d’une influence décisive dans ce que j’essaie de rendre aujourd’hui. L’un est un maître de l’onirisme, d’un certain romantisme, aérien, raffiné, que j’adore. Musha est un maître du design, de la composition, et sa perspective est parfaite puisqu’il copiait des photos.
OSR : Est-ce que tu pratiques le surf, si oui, depuis combien de temps ?
MT : Pendant des années, avant de connaître le surf, je faisais du bodysurf, quand j’étais enfant. Je barbotais à Odawara, dès mes 3 ans, dans les rouleaux. Plus tard, c’est à Shimoda, en 1968, que j’ai pu essayer une planche de surf, une vraie : un surfeur local me l’avait prêtée. Une planche ramenée de Hawaii… Ces quinze dernières années, je suis presque tout le temps à Paris, je travaille beaucoup… L’océan me manque énormément !
OSR : Quel est ton plus beau ride ? Ta plus grosse frayeur ?
MT : Hmmm… Là je pense à une session à Koko Head à Oahu, dans les années 80, avec la mère de mes enfants, et un ami, Peter Cannon. Des conditions de rêve, mais peut-être un peu trop gros, 8 pieds parfaits. En pirogue hawaiienne. C’était incroyable, magnifique, et j’ai eu une frayeur terrible car nous avons piqué… Mais heureusement, on s’en est sortis ! Mais de manière générale, j’aime penser que le plus important, c’est qu’à chaque fois que l’on fait une bonne session, que l’on voit la mer, on ait ce feeling d’avoir fait la meilleure session de sa vie. C’est ça le plus beau. Pas loin de Koko Head, quelques années auparavant, j’ai failli mourir à Kuhio Beach Park. Juste avant que je me noie dans des vagues de près de 4 mètres, un certain Rabbit Kekaï m’a sorti de l’eau, et m’a définitivement fait comprendre que le surf est plus dangereux que le karaté ! Tout a changé à partir de ce jour de 1971 pour moi. J’ai perdu la grosse tête et appris l’humilité, moi qui pensais être indestructible, par tant d’années d’entrainement dans les dojos japonais les plus durs. Même maître Oyama fait moins peur qu’une vague hawaiienne.
OSR : Des expos, des projets en vue ?
MT : Si tout va bien, je serai à Hawaii cet hiver, donc ça se passera là-bas. Je vous tiendrai au courant via les réseaux sociaux. Abonnez-vous !
OSR : Surfes-tu sur internet et que penses-tu de Océan Surf Report ?
MT : Je suis plus un adepte de l’internet mobile, je ne passe pas de manière générale des heures derrière un écran d’ordinateur…J’ai découvert Océan Surf Report avant internet, quand mon fils appelait la ligne téléphonique OSR pour savoir où aller surfer il y a presque vingt ans ! Vous avez fait une belle transition, bravo à votre équipe !
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