Chaque photographe entretient une relation particulière avec Hawaii. À l'hiver de l'année 2009, le Finistérien Romuald Pliquet a cessé d'alimenter le royaume de ses songes en décollant en direction de l'archipel mythique du surf, pour la première fois de sa carrière. Après des années à côtoyer la perfection tahitienne de Teahupo'o, où il a posé ses valises depuis quelques années, le photographe breton allait faire face à la vague qui a toujours appelé à sa rêverie : Pipeline.
Depuis samedi, il séjourne sur l'île de Maui, où se tiendra l'épilogue du Championship Tour féminin. Puis il se rendra sur le North Shore d'Oahu, pour assister à la lutte finale du Dream Tour, du 8 au 20 décembre. Car plus que jamais, c'est là il où faut être.
Surf Report : Quand tu étais gamin, quelle image avais-tu du North Shore ?
Aller sur le North Shore, c'était comme aller sur la Lune. Un endroit tellement éloigné de chez moi, quelque chose d'inaccessible... Je me souviens qu'à l'époque, Surf Session sortait durant l'hiver trois à quatre numéros d'affilés dédiés au North Shore. C'était le rendez-vous annuel pour satelliser le cerveau. Pipeline, c'était la vague ultime. Et les surfeurs comme Dane Kealoha ou Johnny "Boy" Gomes, c'était des héros pour moi. J'adorais aussi ce côté surfeur étranger qui essayait de se faire une place au line-up. Et puis, le contraste est saisissant. Passer des dépressions successives hivernales en Bretagne à un hiver au soleil dans un monde qui tourne exclusivement au grès de la hauteur des vagues, c'était comme un monde merveilleux, un rêve.
Pour tes 20 ans de surf, tu t'es rendu pour la première fois à Hawaii. Puis tu tombes sur la vague de Pipeline, dont tu rêves depuis tout petit. Quels sentiments prédominent ?
En fait, j'ai pas réussi à la trouver de suite ! J'ai remonté tout l'étendue de sable depuis Sunset. Et quand je suis arrivé devant, j'ai tout de suite compris que j'étais face à Pipe, car elle était exactement comme je l'avais imaginé : parfaite. Une émotion m'a parcouru tout le corps, j'étais tétanisé, mes jambes tremblaient. En fait, toutes les vidéos, photos et récits que j'avais vus et lus sont remontés à la surface. Je n'avais jamais ressenti une chose pareille. Ce jour-là, je suis resté toute la journée assis sur le sable, à la regarder. Et le lendemain matin, je me suis enfin décidé à aller la surfer. Mon premier Backdoor est donc venu comme pour souffler une bougie sur mes 20 ans de surf.
Qu'est-ce qui rend cet endroit si spécial selon toi ?
C'est l'endroit de tous les dangers, et à la fois là où il faut absolument être à chaque hiver. Toute la communauté surf est concentrée pendant deux mois sur cette minuscule bande de littoral. Ne pas y être, c'est comme regarder la Coupe du monde de foot à la télé alors que t'as fait tous les match de qualification avec l'Équipe de France !
Comme un passage obligatoire...
Complètement, pour être reconnu et respecté. Si tu ne fait tes preuves sur le North Shore, tu ne seras jamais respecté. Hawaii c'est la Mecque ! Un endroit qui peut construire ou défaire une carrière, il n'y a pas de juste milieu. Regarde pour le surf français, avant Didier Piter et Laurent Pujol, personne dans la communauté internationale de surf, dominée à l'époque par les australiens et les américains, ne considérait la France comme une nation de surf à part entière. Seuls quelques-uns en avaient entendu parler, avaient surfé à Biarritz ou à La Gravière. Le jour où ces deux-là ont commencé à charger Pipeline comme les locaux, la communauté a eu un autre regard sur le niveau des surfeurs français.
"Une session en aqua à Pipeline, par exemple, me fait d'ailleurs de moins en moins rêver puisqu'il y a désormais trop de photographes et de caméramans."
Le placement est un des aspects les plus techniques en photographie aquatique, comment l'as-tu appréhendé à Hawaï ?
J'ai beaucoup observé le courant et la période entre les sets depuis la plage, au cours de mon premier hiver. A Hawaï, c'est complètement différent des spots français. Tu n'as pas un courant qui t'amène ou t'expulse du line-up où après quelques coups de palmes, tu arrives à te replacer. Là-bas, c'est comme si tout l'océan bouge en une seule masse. C'est très perturbant, voire flippant quand tu n'es pas habitué. Tu rajoutes à cela des séries fantômes qui peuvent doubler par rapport aux sets normaux... À toi de savoir si tu es prêt à te mettre à table ou non.
"Happy by the sea"
Elles m'ont beaucoup aidé à me rassurer, même si à Chopes c'est différent puisque tu as un chenal qui constitue une certaine sécurité si les séries ne sont pas trop ouest. Je me souviens d'un hiver où j'avais vraiment bouffé à Pipeline puisque je n'étais pas assez préparé physiquement. J'avais quitté Tahiti et j'étais retourné vivre en France. La bonne bouffe et le vin français avec les potes avaient fait leur travail, et Pipeline m'avait vite remise sur terre.. J'avais perdu mes palmes en plongeant sous un gros set et avait décalé dans l'inside. Je pense que ce jour-là, si je n'avais pas aperçu de jet-skis dans l'outside, j'aurais vite paniqué. Et Pipeline, c'est le dernier endroit pour paniquer.
Comment se différencier des autres photographes sur le North Shore ?
Tout simplement grâce à l'expérience. Avec les années, tu sais à quel endroit te poster en fonction de l'orientation et la taille de la houle, de l'heure et de l'évolution de la lumière. Ensuite, tu obtiens une addition de plusieurs facteurs favorables pour essayer d'avoir une bonne photo. Une session en aqua à Pipeline, par exemple, me fait d'ailleurs de moins en moins rêver puisqu'il y a désormais trop de photographes et de caméramans. En fait, tu en es presque rendu à chercher le surfeur au milieu d'une forêt de bras levés avec une GoPro à la main. Ce côté magique de vivre un moment privilégié s'est perdu, et c'est bien dommage.
Kelly Slater, Pipeline, 2013.
John John Florence, sans hésitation. Pipeline c'est chez lui ! J'ai vu des sessions "chantier" où personne n'osait y aller, où ça pétait sur le troisième reef. Et là tu vois John John arriver, tout décontracté, se jeter à l'eau seul et surfer cet apocalypse comme à son habitude, avec une maestria que lui seul est capable d'avoir à Pipe. Les surfeurs les plus photogéniques, ce sont ceux que tu arrives à identifier dès le premier regard dans un line-up bondé. À Pipeline, peu de gens ont ce privilège, puisque c'est un drop éclair et une disparition dans une caverne liquide. Ce qui laisse peu de chance pour se différencier des autres. Et pourtant, des surfeurs comme John John, Kelly, Shane Dorian, Derek Ho ou encore Gerry Lopez, y arrivent encore.
Quels spots préfères-tu sur le North Shore ?
Le premier, c'est Rocky Point. Puisque c'est le spot où je vais surfer tous les jours, très tôt le matin, quand je suis sur le North Shore. J'adore cet endroit. Il laisse de la place pour exprimer tout le potentiel de ton surf. Le côté barrel sur roche à fleur d'eau, ça me rappelle aussi la Bretagne. Pipeline bien-sûr, puisque c'est la vague ultime ! Sa zone de drop à quatre mètres pour terminer la section à 80 centimètres, ça me laisse toujours admiratif. Et puis, elle est d'une beauté inégalable. Teahupo'o c'est trop parfait, sans défaut. Alors que Pipeline a son côté imprévisible, ce qui fait d'elle ma favorite de loin. Et puis, Waimea Bay, pour tout le potentiel de moments historiques qu'elle véhicule, et bien-sûr parce que c'est l'antre d'Eddie Aikau.
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