Interview - Aventure sur les mascarets

Alexis de Védrines et Antony Colas

- @oceansurfreport -

Hier nous vous parlions du mascaret, cette vague de rivière qui se forme de façon exceptionnelle selon les conditions. Nous avons pu interviewer deux surfeurs de mascaret : Antony Colas et  Alexis de Védrines qui nous racontent leurs expériences et leurs visions vis à vis de cette vague particulière. (lire l'article : Une vague spéciale)

OSR : Bonjour les gars merci de nous accorder cette interview, pouvez-vous vous présenter ?
Antony :
 Antony Colas, j’ai 45 ans et j’habite à Anglet (et à Guéthary quand il y a des vagues).  Bien que je devienne officiellement « agent de voyage », je revendique mon lourd passé journalistique que je n’abandonnerai pour rien au monde. Journalisme surfistique bien sûr ! Stormrider, Surf Session, Japan Surfing Life entre autres…
ADV : Salut, je m’appelle Alexis, j’ai 23 ans je vis sur la côte basque. Je surfe depuis tout petit sur les plages d’Anglet et je fais régulièrement des voyages pour découvrir les vagues du monde : Canaries, Australie, Bali, Costa Rica !

OSR : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le mascaret ? Et à quoi est-il dû ?
Antony :
Pour un scientifique, c’est un Ressaut Hydraulique. Pour un surfeur, c’est une longue vague momolle qui déferle (ou pas) pendant des dizaines de kilomètres en Garonne (rare) et en Dordogne (moins rare). Pour un plombier, c’est un contre-courant turbulent entre l’eau douce qui s’écoule et l’eau salée qui refoule. Pour un poète, c’est une rencontre amoureuse en bordure de forêt avec un phénomène naturel. Et pour tous les autres, c’est une onde de grande marée qui remonte certains fleuves dont l’embouchure forme un estuaire long et peu profond. Les grandes marées sont dues à l’alignement entre la terre, le soleil et la lune. Pleine lune et/ou nouvelle lune.
ADV : Le mascaret est une vague de rivière qui se forme sur les bancs de sable. Il est dû au changement de marée ! Lorsque la marée est plein bas et qu'elle remonte cela émet une onde qui forme cette fameuse vague.

OSR : Dans quels pays avez-vous surfé le mascaret ?
Antony :
Mon frère m’a initié, il y a plus de 15 ans, dans ma Dordogne natale. Rapidement, on est partis en Zodiac à la conquête de la Garonne, quasiment vierge à l’époque. C’est en 2005 que j’ai convié certains amoureux du mascaret au Brésil sur le Rio Mearim. Puis, 2 ans plus tard, ce fut la Chine, où on joua aux gendarmes et aux voleurs sur les rives de la Qiantang. En 2009, je me retrouvais, par hasard et seul, en Malaisie à devenir le 1er surfer « debout » sur le Benak puis vint le tour du Bono indonésien en 2010, qui fut sans nul doute ma plus belle trouvaille avec la bande de St-Pardon.  Et enfin, je n’ai pas pu résister à la résurgence de la Petitcodiac canadienne l’été dernier, qui offre un « Bore » immaculé dans un décor de forêts splendides. Et ce n’est pas terminé…
ADV : Je l'ai seulement surfé en France dans la Gironde.

OSR : Où se cache la véritable magie du mascaret ?
Antony: Depuis Harry Potter tout devient magie et le terme devient un peu galvaudé. N’empêche, l’attente du mascaret est unique parce que la pression met plusieurs heures, voire plusieurs jours, à monter vers un point d’orgue précis totalement inexorable. Contrairement au train, qui peut dérailler, le mascaret arrive toujours. Mais il peut se faire attendre. Les ambiances qui le précédent sont parfois des perceptions sensorielles fortes : les brumes du matin, l’effet miroir de la surface, l’acuité des sons, les odeurs de sous-bois, l’omniprésence des oiseaux, les levers et couchers de soleil dans les branchages, la lumière sélénite…
ADV : Le fait de faire deux heures de route pour surfer une seule vague pendant 10 à 15 min, sans personne dessus et réussir à l'attraper, car elle n'est pas facile à prendre. Pouvoir surfer une vague d'eau douce remontant un fleuve est quand même très original.

OSR : Quelle est l’ambiance pendant un mascaret ?
Antony :
Même si certains essayent de défendre leur pré carré, la vague de mascaret ne départage pas, elle se partage. A Saint-Pardon c’est une expérience de surf collectif. Avant l’arrivée de la grande ligne, chacun se place par rapport aux berges et par rapport aux autres. On évite la proximité des kayaks pour ne pas subir un strike : le carambolage inévitable quand le grand kayak fait une embardée. Puis, la grande ligne se resserre avant le passage de la cale, ça joue des coudes, les planches se mettent rail à rail, attention aux doigts… Quand l’onde reprend de la puissance, c’est le mercato, on change de vague dans la nappe de marée, on se crée de l’espace pour espérer manoeuvrer et aller le plus loin possible… Puis, c’est le retour au port à la rame ou par la berge, les plus chanceux passent dirent bonjour aux retraités… Ceux qui ont le temps, entament la 2ème session au café du port, sur le parking : chacun raconte son parcours… Et on commence à se préparer pour le prochain mascaret…
ADV : Tout le monde à le sourire aux lèvres et crie lorsque que celle-ci se forme au loin et arrive sur nous à une vitesse affolante. Lorsque la vague finit, un homme surfant cette vague réalise le même son qu'une corne de brume pour annoncer la fin.

OSR : Quelle planche surfez-vous sur le mascaret ?
Antony :
Depuis quelques années, c’est le plus souvent sur un SUP. Le SUP rend la rame d’approche très agréable, procure une Vista précise à l’arrivée du mascaret, permet de rattraper un coup de mou pendant la chevauchée et de revenir à contre-courant quand on a dépassé le point où la bagnole est garée !  Mais, ça n’est pas pour autant l’arme fatale, notamment pour gérer le « jet de rive » où les transitions entre deux vagues.  Un bon 12 pieds sur la Dordogne, un 9 pieds en rivière tropicale mais, parfois, je vise des  sections « courtes » de quelques centaines de mètres, avec une 7 pieds, avec du volume, pour pomper en haut de vague et tenter des cut-backs. Pas besoin de rocker, il faut juste de la largeur et/ou de l’épaisseur.
ADV : Je prends une planche de wind surf car il faut une très grande planche pour pouvoir surfer le mascaret.

OSR : Quelle est l’ampleur d’un mascaret ?
Antony :
En termes de chiffres, de 30 km à 50 km en France, soit 2 à 3 heures de déferlement sur le total des sections potentielles. A St-Pardon il est aisé de se taper 3 kilomètres, plus compliqué d’atteindre 6 et exceptionnel de dépasser 7 km. Mais certains comme « Tapis » Roland ou Ludo Dulou ont même fait 8 km les étés où les niveaux d’eau sont au plus bas. Les vagues dépassent très rarement le mètre, 50 cm étant la bonne moyenne, 20 cm le minimum syndical… Le TOP 4 (Chine, Brésil, Indo, Malaisie), c’est la 1ère division. On peut doubler tous ces chiffres et certains points de résonance extrême flirtent avec les 3 à 4 mètres. Ca peut faire beaucoup d’eau en mouvement, attention aux projections…
ADV : Les gens se déplacent des quatre coins de la Gironde, voire même des régions aux alentours.

OSR : Quand a lieu le mascaret (de manière générale) ?
Antony :
Croyez le ou pas, à un point donné de la rivière, les pics de mascarets ont TOUJOURS lieu à la même heure, à quelques dizaines de minutes près. Le mascaret est une clepsydre, une sorte d’horloge aquatique formidable ! Chaque rivière à mascaret possède dans sa carte d’identité sa période de passage : matin et soir pour la Gironde, midi-minuit pour le Bono, matin et soir pour le benak, midi- minuit sur la Qiantang… Plus précisément, c’est 18-19h pour St-Pardon, 12-13h pour Teluk Meranti, 17-18h pour Sri Aman, 11h-12 pour Yanguan.
ADV : Contrairement à ce que tout le monde croit, le mascaret a lieu tout les mois et passe pendant 3 jours.

OSR : Combien de fois avez-vous surfé le mascaret au final ?
Antony :
Sûrement moins que certains locaux qui peuvent totaliser 80 à 100 mascarets par an, en scorant pendant la saison, soir et matin. Un certain Alain Touzard, il y a 3 ans, avait réussi à aligner plus de 200 mascarets, dont une suite mémorable de 35 jours d’affilée, un mois de juin, où les mortes-eaux prenaient quand même 45 de coeff’ ce qui provoquait une petite vague. En râclant les fonds de cuve, je dois péter à 20 mascarets dans l’année, 30 les bonnes années… dont quelques pépites de plusieurs heures… 1h / 20 km étant la plus longue vague à mon actif sur le Bono en Octobre 2012, 33 minutes debout, 27 minutes allongé !
ADV : J'ai surfé deux fois le mascaret mais je compte le re-surfer le plus rapidement possible et de nombreuses fois encore.

OSR : Avez-vous déjà surfé le mascaret de nuit ? Si oui ça fait quel effet ?
Antony :
Un effet bœuf ! La première fois, c’était de nuit, j’ai crû rêver ! Alors désormais dès que je peux découcher je ne me prive pas. Surtout les jours de pleine lune ! L’atmosphère sonore devient telle que le grondement paraît suramplifié : comme un train ou des chevaux au galop… Le son du mascaret est une signature importante du phénomène. De jour, la pollution sonore empêche cette perception. De nuit, il reprend sa dimension vibratoire forte et comme on ne peut pas lire la vague on ne peut que se sentir glisser sur l’élément… On cruise, on écoute, il se passe quelque chose ! Il y a quelques années j’avais commandé des lunettes de vision nocturne de 1ère génération, ce fut un flop ! Peut-être que les lunettes de dernière génération valent le coup mais faut casquer plusieurs milliers d’euros… J’attends que les prix baissent…
ADV : Je ne l'ai toujours pas fait mais ça sera sans aucun doute mon prochain objectif. Beaucoup m'on dit d'y aller de nuit pendant une pleine lune car c’était magique.

Merci les garçons d’avoir répondu à ces quelques questions ! Bonne chance pour la suite et on vous souhaite encore de surfer de nombreux mascarets.

Retrouvez la couverture du livre d'Antony Colas en exclusivité : "Mascarets" sortira en mai !

Mots clés : surf, interview, mascaret, rivieres, vague | Ce contenu a été lu 10457 fois.
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