--- Initialement publié le 12 janvier 2021 ---
Ambiguë et pointée du doigt, au printemps comme à l'automne 2020, la gestion par les autorités de la pratique d'activités nautiques en période de confinement a soulevé différentes interrogations. Le surf - et au-delà les sports de nature - est-il nécessaire pour les pratiquants réguliers ? Quelles conséquences indésirables sont liées l'arrêt brutal de la pratique chez les habitués du line-up ? Quels effets directs et indirects chez les personnes qui possèdent une relation de quasi-dépendance au surf ?
Pour parler confinement, surf et addiction, nous nous sommes rendus à l'association Bizia, le centre de soin en addictologie de Bayonne (Pays Basque), à la rencontre du Dr Jean-Pierre Daulouède, médecin psychiatre et addictologue, et d'Augustin Voisin, éducateur spécialisé, ex-prof de surf et 30 ans de pratique. Ils expliquent.
Surf-Report : D'un point de vue général, avant de parler des surfeurs, quels effets psychologiques engendrent un confinement chez l'être humain ?
Jean-Pierre Daulouède : Le confinement qu'on a connu à l'automne dernier, ça reste une privation de liberté avec objectivement une diminution des interactions sociales et subjectivement, un sentiment de perte de liberté. On va limiter ce que l'on aime faire, c'est pénible et douloureux. Et comment on vit une situation "emmerdante" ? En étant "emmerdé". On va connaître des sensations d'anxiété, compenser sur d'autres molécules ou d'autres comportements, la nourriture, l'alcool, le cannabis, Netflix...
Pourquoi est-il important de pratiquer une activité physique ?
J-P.D : L'action - le fait d'agir - est anxiolytique. On peut-être anxieux parce qu'on a de l'énergie qu'on ne brûle pas. Les surfeurs eux, possèdent une double source d'équilibre. D'une part la récompense liée au plaisir de la glisse. Et ensuite toute l'énergie musculaire et thermique dépensée, qui est conséquente d'un point de vue calorique. Si d'un coup l'on prive un pratiquant régulier de dépense d'énergie, on va perturber son métabolisme et il va être complètement chamboulé, en dehors du psychisme.
J-P.D : (Il réfléchit...) Répondre scientifiquement à ça, c'est difficile. Ceci étant, tout exercice physique, surtout s'il est récompensant, libère des endorphines, de l'adrénaline, du cortisol... ce qui accroit le plaisir et provoque un sentiment de bien-être. Ce qu'il faut surtout retenir, c'est que l'action est anxiolytique (apaise l'anxiété, ndlr). Nous sommes dans une société où l'on vit en sous-consommation d'énergie. Et des individus qui ont de l'énergie et ne la brûlent pas dans l'action sont soumis à l'anxiété. Dépenser son énergie, en plus avec quelque chose qui donne du plaisir, c'est essentiel.
Sur ce point, qu'est-ce qui différencie le surf des autres pratiques sportives ?
J-P.D : Le surf est un sport ludique et très récompensant avec la notion de glisse. Dans notre cerveau, on a un centre de la récompense, une sorte de "reward system". L'organe, c'est le noyau accumbens. Il est fait pour récompenser tous les comportements utiles à la vie, en tant qu'individu et en tant qu'espèce. Boire quand on a soif, manger quand on a faim, chasser, pêcher... C'est quelque chose d'atavique puisque ça correspond à nos gènes qui ont plus de 150 000 ans. Ce système de la récompense, s'il se dérègle, peut se transformer en un comportement addictif, quelque chose qu'on ne contrôle plus.
Et au-delà, il y a aussi les pratiques annexes au surf, checker les vagues, lire les prévisions, réfléchir à bonne option qui disparaît...
Augustin Voisin : Ce processus de mise en tension avant d'aller à l'eau, il est en effet vécu par les surfeurs qui miment un processus d'addiction. Comme quelqu'un qui va chercher son produit, ce qu'on appelle le "craving" en addictologie (désigne une envie irrépressible de consommer une substance ou d'exécuter un comportement gratifiant alors qu'on ne le veut pas à ce moment-là, ndlr). Un surfeur va regarder les cartes, chercher le bon endroit, vouloir trouver le bon créneau... C'est un processus de mise en tension avec un soulagement intense, le fait de prendre une vague, qui se produit sur une temporalité très courte. Quand on est debout, c'est ça qui est potentiellement addictif avec une libération de plaisir très importante sur un temps très court. Cette sensation rend les choses addictives.
Par quoi peut-on compenser l'absence d'une pratique sportive comme le surf, et cette culture d'un plaisir intense, en temps de confinement ?
J-P.D : Ce n'est pas facile de trouver une activité aussi récompensante. Même en ce qui concerne la dépense calorique. Plus la récompense se produit vite après le comportement de consommation, plus ça va être addictif. Pour revenir à ce qui serait addictif dans le surf, c'est cette mise en tension mais surtout ce plaisir bref et intense de la glisse, qui le rend plus addictif que le vélo ou la course à pied.
Le confinement et l'absence de pratique peuvent-ils rendre le surfeur addict ?
A.V : Non, mais il va être frustré et en recherche de plaisir, ce qui peut avoir des conséquences psychologiques en l'absence de l'aspect anxiolytique du surf. Celui qui a un rapport d'addiction au surf va accumuler les emmerdes de la même manière qu'une personne qui consommerait des substances : perte de contrôle, accumulation de dommages. Le coeur de tout ça, c'est le noyau accumbens qui est dérégulé lorsqu'il y a une problématique d'addiction. En période de confinement, la personne concernée va peut-être abuser de certaines substances ou de certains comportement. Et ceux qui ont des vulnérabilités peuvent développer des problématiques d'addiction mais pas nécessairement tout le monde.
Photo à la une : Mick Fanning par ©Trevor Moran / Red Bull Content Pool