Il fait chaud et humide, les draps sont trempés. La chaleur ambiante me fait suffoquer quelque peu malgré la clim qui me souffle son air en pleine figure. Je sais que j'aurais bientôt à me battre contre une angine mais je suis prêt à en payer le prix. Je me suis barricadé sous les agréables senteurs du Baygon qui finiront pas me tuer comme un vieux moustique.
L'odeur de l'encens que je n'ai pourtant pas utilisé envoute la pièce et colle aux murs. Les crapauds entament leur sérénades, ils chantent et sautillent dans le jardin, la nuit tombe c'est pour eux le temps de la récréation. La musique des cérémonies me casse un peu les oreilles, les scooters vrombissent à tout bout de rizière, il est 18h, et dans ce vacarme ambiant et psychédélique, c'est l'heure de la 3ème prière !
Je vous écris ce surfari de dessous ma moustiquaire, au fond de ma cabane du fond du jardin, à quelques encablures de Canggu beach, petit havre de paix sur l'île de Bali, dans cet archipel indonésien qui distille de si bonnes vagues chaque jour.
BALI, ENTRE RÊVE ET REALITE
Je me rappelle avant d'arriver ici, La poisse du départ : Arrivé à la gare de Marseille, après avoir bravé bus et métro mon boardbag sur l'épaule et je peux vous dire qu'à Marseille, des comme moi, ils n'en voient pas tous les jours? Les enfants me regardent et se marrent. J'ai l'impression d'être un de ces pilotes de Bobsleigh jamaïcain qui arrive aux JO d'hiver de Calgary. Alors que je suis assis à coté de mes planches, un enfant demande à son père « papa, c'est quoi qu'il a dans ce gros sac » et le père de répondre « c'est un bateau mon chérie, c'est un bateau ». Pauvre enfant traumatisé qui va croire après ça que l'on peut emporter un bateau dans le métro? Ah, les habitants du bord de mer? ils n'ont rien compris aux coutumes de ceusses qui habitent au bord de l'océan.
Arrivé à 1h30 du matin à Paris, et devenant un usager d'expérience des transports en communs, je me retrouve coincé entre la porte du RER et l'homofashionoerectus qui sent la Vodka par-dessus mon épaule. Commencent alors 20 minutes d'une relation très exiguë et endiablée avec mon boardbag. L'effet est immédiat, nous nous rapprochons mon quiver et moi, me permettant de discuter un peu avec mes planches et de faire une petit topo sur les 2 semaines de surf que nous nous apprêtons à vivre ensemble. Peut être les effets de l'haleine de mon voisin sur mon cerveau.
J'aurais bien aimé vadrouiller dans la capitale, aller m'acheter des tours Eiffel taille crayon... Au lieu de ça je refuserais les avances du marchant de sable pour m'engouffrer dans le sommeil profond du marchant de reefs.
Un grand merci à Singapour Airlines qui m'a épargné les 400 ? qu'Air France réclame à ses meilleurs usagers pour prendre leur planche et l'abimer.
Après 12h d'avion à regarder dix minutes de chacun des 125 films proposés par mon voisin d'en face, j'ai le droit à un massage à chaque fois que la gamine de derrière moi change de dessin animé. 28 parties de tétris plus tard, on m'amène ma serviette chaude et mon plateau repas, je sombre dans un sommeil compliqué, mais bien utile.
Arrivé à Chinatown j'ai cru qu'on allait nous manger, une ambiance pesante, maladive, des animaux en cage, des os sur les tables, des bouteilles d'alcool vides un peu partout. Bizarre, mais très intéressant pour les aventuriers que nous sommes. De très beaux temples par contre. Le quartier indien de la ville est un peu plus cool. Quelques zombies rodent, leurs yeux à la couleur encore inconnue sur l'échelle de l'arc en ciel, leurs barbes blanche, le regard dans le vide qui voit même à travers cette fumée qui sort d'on ne sait où? Ce petit marché aux fruits et légumes me donne l'impression d'être en plein c?ur de Mumbaï.
C'est donc après une escale mouvementée à Singapour, entre Asie profonde et la grande New York que nous mettons le cap sur Denpasar?
GOOD MORNING BALI
Notre guide Balinais s'appelle Madé, un jeune surfeur de 30ans vraiment cool qui nous fera visiter l'ile. On loge chez Tony à Canggu. Tony, guadeloupéen de naissance, balinais d'adoption loue des cabanes de bois / bambou plantées entre les rizières. Et quelles cabanes !
De belles cahutes toutes de bois massif, pour fermer la porte pas de clé, juste une calle en bois. La petite terrasse est un plaisir des sens, les orchidées fleurissent de partout, les oiseaux viennent chanter à deux pas du canapé d'extérieur, les crapaux squattent sur les bords de la fontaine, ça ressemblerait bien au jardin d'Eden par ici ! Cachés derrière les bambous c'est plutôt l'Eden Park ouais ! avec une rampe de skate, une piscine, une salle de musculation? « Quand je serai grand, je me construirai une rampe de skate dans le jardin », Tony lui, il l'a fait !
Première prise de contact le lendemain matin de notre arrivée à Canggu, mon home spot pour ces quelques jours. Des gauches massives d'1m50 viennent dérouler devant les Warungs. Le contraste entre le calme des petits restos et la violence de cette vague est effarant ! Cette gauche ouvre à la perfection, elle est puissante et lorsqu'elle arrive dans la section sur les cailloux, elle jette un barrel bien épais, bien gras ! Ce qui est vraiment bon c'est que le barrel est une section de la vague, ce qui permet d'arriver déjà lancé dans la section et de se coller de beaux tubes sans besoin de grabber. Les sets sont parfaits, la marée est callée, ma première session balinaise est une parfaite réussite ! (malgré le nombre de take off grabrail « up and down » qui m'enverront direct au fond frotter ma combinaison de cuir naturel sur la dalle). Et je peux vous dire qu'une boite à Bali, je n'appelle pas ça une machine à laver? j'appelle ça « rencontre avec Joe l'Indien », Joe l'Indien, le dieu bien connu de l'océan indien vous attrapera tel un catcheur de la WWE (World Wrestling Entertainment) !
Cet endroit là c'est le paradis ! Tous les jours ce sera : petite session sur la gauche puis un bon repas dans les restos, sous un parasol, sur une de ces grandes tables en bois juste en face du spot. Une bintang, Un Nasi goreng, un jus de fruit frais, une autre Bintang, « Je finis la bière et j'y retourne, ya une belle série qui vient de passer ». Chaque table voit son lot de surfeurs, les planches posées sur le sol, prêts à repartir se mettre une petite session pour digérer. Les serveurs des restos sont adorables, Cet endroit là c'est vraiment le paradis !
Si on oublie le fait que les balinais ont un énorme niveau de surf et que quand ils sont plus de 3 au pic, ça devient dur de prendre une vague, qu'ils n'hésitent pas à vous mettre de grosses braques, que les australiens parlent un peu fort au pic et que j'ai eu l'honneur de me faire plaquer un rodéo dessus pas Reubyn Ash qui a faillit me tuer? c'est très cool. J'ai quand même réussi à trouver les bonnes conditions right time right place.
Les prévisions pour le reste de la semaine sont mitigées. La houle est prévue tenir aux alentours d'un mètre cinquante, le vent reste faible sans pour autant passer offshore. Je sais que je n'aurai pas droit à ces visions d'Uluwatu incroyablement parfaites, mais je me contenterai facilement de ce bon spot à 3 minutes de scooter de la maison.
Nous avons fait l'erreur le lendemain d'aller trainer du coté de Kuta où le degré de pollution dépasse presque la densité nucléaire qui s'échappe de ces satanées centrales ! Surfrider serait fâché de voir l'état des plages ici. On ne s'attardera pas vraiment dans ce magasin grande échelle, nous y reviendrons à la fin pour ramener quelques souvenirs.
Bali est le premier endroit au monde où je vois 6 personnes sur un scooter, sans casque, maman, 2 filles, papa qui « conduit », 2 garçons? Des « mam » de 70 ans me doublent à fond les ballons en passant par le trottoir, tout le monde passe au feu rouge alors qu'il est ? rouge ?
Le rond point n'est qu'un rond de trottoir au milieu d'un fleuve de béton autour duquel l'eau coule dans les deux sens. Les castors sur les rives travaillent les rondins de bois pour en faire des bouddha de 2m de haut ! Les crocodiles corrompus aux dents pointues veillent en uniformes pour vous soutirer quelques 10000 rupiahs glissés discrètement dans la photocopie de votre permis de conduire. Normalement on prend le rond point par la gauche? A Bali, c'est toi qui choisis selon ton humeur du jour.
Le centre des terres sur cette île est sans doute une des merveilles du monde. Les rizières étincelantes et ensoleillées aux dizaines de sortes de vert et de jaune sont des endroits magiques. Tous ces gens qui travaillent dont on n'aperçoit que les chapeaux chinois? J'ai l'impression de me retrouver dans un de ces films qui dépeignait le Vietnam en temps de guerre. Sous un soleil de plomb ces gens travaillent d'arrache pied pour ramasser le riz de leur survie. En plein milieu, de petites cabanes de bambous entourées d'énormes palmiers. Et puis Il y a cet homme planté au milieu du champ tel un épouvantail qui tire sur les fils et lâche de réguliers « hyukukuuuuu » pour éloigner les oiseaux.
La région d'Ubud est un endroit magique. Les singes en « liberté », les temples aux immenses fontaines et bassins dans lesquels fleurissent les lotus qui reflètent des couleurs incroyables. Il y a également ces gens qui passent 80% de leur journée à sourire, ces vieux à la peau abimée par le soleil qui ont l'air si paisibles, ces travailleurs qui passent leurs journées à marcher sur le béton ardent pour transporter d'énormes matériaux sur leurs dos et ces femmes qui transportent sur leurs têtes d'immenses paniers de fruits qui serviront d'offrandes au dieux.
J'adore discuter avec Madé. Il me raconte toutes les coutumes qui font vivre son île. Madé est hindouiste, et chaque jour sa façon de voir la vie me fait réfléchir à toutes nos habitudes inutiles de bons métropolitains. Cette philosophie de la vie rythmée par les cérémonies, la balance entre le bien et le mal, les hommes et les femmes, le blanc et le jaune, dans un cercle infini symbole de perfection?
Tout ici est une question de respect de l'autre, de partage, d'art, et de ce que j'appellerais la sourirothérapie :
« Le sourire attire la lumière dorée, la lumière qui correspond à la fréquence vibratoire du plan humain dans le cosmos avant notre incarnation. L'exercice du sourire indique de relever les commissures des lèvres ce qui entraîne l'élévation de l'énergie et la détente, attire l'énergie cosmique de la lumière dorée »? Je n'ai pas la dengue, je ne prends pas de drogues non plus, par contre je vous assure qu'on trouve vraiment des choses étranges sur internet? Je ris lorsqu'il me parle des « offerings » ou offrandes qu'en bon balinais il dépose partout jusque sur le tableau de bord de sa voiture pour se protéger.
Elles sont composées de fleurs, de fruits, de Snickers, Mentos et parfois même de cigarettes? les dieux balinais sont gâtés, ils auraient largement de quoi monter un commerce parallèle ! Je ris encore plus lorsque j'apprends qu'il existe des cérémonies pour célébrer la montagne, la forêt, la mer, LES SCOOTERS, LES VOITURES etc. Chaque jour amène une nouvelle purification et tout y passe !
Je rêve de grands pouvoirs lorsqu'il me raconte l'histoire de ses dieux :
Esprit, démons, dieux, Brahma, Vishnu, Shiva ? ils assurent la création, la préservation et la destruction de l'humanité? Nous remarqueront que le dieu de la destruction a pour but la création d'un monde nouveau? Le chat retombe toujours sur ces pattes.
Ici la religion est omniprésente, mais présentée comme elle l'est, elle s'apparente, à de belles histoires et légendes qui l'a rendent plutôt intéressante et parfois marrante. Les addicts du shopping rentreront avec une véritable religion dans leurs valises, portraits et statuettes de dieux animaux symboles de belles choses et qui se vendent comme des petits pains et dix fois plus chers dans les magasins zen de nos chères capitales.
« Séparé du monde profane par une enceinte de briques et conçu pour accueillir toute la communauté villageoise, les temples sont des lieux où les dieux descendent parmi les hommes. »
Enfin, laissons ces histoires de dieux à têtes d'animaux pour en revenir à notre vrai dieu : Le dieu du surf !
J'ai donc choisi de surfer un jour sur deux. C'est la première fois que je viens ici et je veux pouvoir profiter de la beauté de cette île et aller visiter un peu. Je me lèverai quand même tous les matins d'excursion à 6h, pour aller surfer, je tricherai ! Je suis chanceux car la fin de semaine s'annonce assez bonne en swell. Le vent passe légèrement off le matin. Je me lève tous les jours à l'aube pour être tranquille à l'eau et pour une fois, j'ai le bon modjo !
Ce matin là, la droite est incroyable. J'arrive sur le parking à 7h comme tous les matins (là aussi j'ai menti), je gare mon scooter avant que le mec du parking ne me réclame les 2000 rupiah pour passer, je saute la petite barrière en évitant l'entorse qui pourrait ruiner la fin de mon trip. J'esquive tous les chiens qui me courent après sur la plage et veulent me chopper le derrière ! De gros murs arrivent du large par la droite, le take off est assez aisé, sur les grosses au pic, après un take off assez engagé, la première section ne permet finalement qu'un bon cutback. Par contre lorsque l'on arrive dans la reforme, c'est le Bingo ! Un festival, que dis-je, un florilège de tubes ! La vague arrive sur le reef et s'enroule à la perfection dans un bowl bien rond et dévastateur. Le cut back assuré, vous vous retrouvez debout devant ce bowl qui creuse. Il faut garder une trajectoire assez basse pour ne pas partir avec la lèvre alors je prends ma meilleure position caca et hop, la lèvre me recouvre à chaque fois.
2h consécutives de barrels à 4 à l'eau (à 27 degrès) sous un grand soleil? ça n'a pas de prix ! Pour une fois, voila quelque chose à Bali que je n'ai pas besoin de payer !
Je n'oublierais jamais cette dernière vision au travers des vitres du tunnel d'embarquement de l'avion...
Là bas, au loin, la gauche de l'aéroport qui déroule à un bon 2m50 sur plus de 300m ? Je me souviens encore du tracé de ce petit point que je vois au loin, qui disparait sous la lèvre qui me parait fort épaisse pour ressortir et me montrer ses plus beaux carves. Belle idée marketing balinaise. Pour que les touristes reviennent, mettons l'aéroport devant une vague complètement parfaite, ils partiront frustrés et reviendront à coup sur !
Je rentre dans l'avion un peu dépité car la houle arrive quand je m'en vais (autre théorie marketing de « L'eau à la bouche »), ce qui finalement me donne un nouvel objectif pour revenir sur un gros swell et aller scorer le Bukit !
Et puis les films dans l'avion, les charmantes hôtesses et l'apéro avant le repas me feront rapidement oublier la session manquée.
Une dernière journée d'escale à Singapour avant de rentrer, j'irai passer la journée au ZOO qui est une réelle merveille !
Les yeux rivés sur le petit avion et la ligne qu'il trace à travers le monde. J'ai bien essayé de modifier la destination du Boeing en mode tactile sur mon voisin de devant, mais rien n'y fait, je rentre bien en France.
Je rentre frais comme un gardon avec mon marcel Bintang, les chaussettes dans les tongs, encore un peu je me retrouve une fleur dans les cheveux et un yukulélé en bandoulière, on dirait Antoine fada !
En sortant de l'avion il y a bien évidemment cet éternel mystère? Vous savez ce dernier bagage qui tourne seul sur le tapis. Celui dont le propriétaire à disparu dans l'avion. J'aime à penser qu'un autre gars, moins bête que moi aurait lui aussi vu la série en montant dans l'avion et se serait échappé au dernier moment.
En rentrant chez moi On tentera de m'interdire le métro puis le bus dans le Réseau de Transports Marseillais pour cause de « Monsieur, à la RTM, on n'est pas une société de déménagement, la planche ça va pas le faire ! ». Après quelques négociations dans un accent appuyé il me conseillera de me mettre à la pétanque et me laissera finalement passer.
Arrivé devant le stade vélodrome, impossible de ne pas se rendre compte que ce soir, il y a le match ! Le bus des « adversaires » est entrain de passer dans la rue tandis que nous sommes arrêtés au passage clouté, une pluie de chaises, de crachats et de doigts d'honneur accueille ces petites gens dans la cité phocéenne? c'est bien ça, je suis rentré chez les fous!
Je suis effectivement de retour !
Je tiens à remercier ma famille, mon producteur, ESP Surfboard, mon shaper/sponsor de talent qui m'a fabriqué un petit missile pour ce trip balinais. Von Zipper qui m'aura donné de bonnes lunettes pour me protéger du soleil sans lesquelles j'aurais perdu un oeil. Je remercie également mon cousin qui m'a envoyé la guigne en me disant « tas pas de vagues ? tant mieux, ya plus de chance pour que j'en ai quand je viendrais? résultat des courses, une semaine après mon départ le bukit était en feu !
Merci à Grégory pour ce magnifique surfari made in Bali Bagus !!
Photos: Grégory « James » Delaspre