- Article initialement publié le 18 janvier 2021 -
C'est le genre de scène que tout surfeur professionnel doté d'une conscience va ressasser. Pas uniquement dans les minutes qui suivent, mais pendant des semaines, des mois. À l'hiver 2018, Justine Dupont se rend sur l'île de Maui (Hawaii) à l'occasion du Jaws Challenge, dernière manche du Big Wave Tour. L'objectif est double : briller sur cette compétition au rayonnement international et prendre une belle vague sur un spot qui ne laisse aucune place à l'hésitation.
Le call est lancé le 26 novembre. Après plus de deux mois d'une préparation infernale à Nazaré (Portugal), rythmée par une succession de swells, la Canaulaise se sent prête. En demi-finale, elle démarre sur deux vagues qui lui permettent d'obtenir son ticket pour l'ultime heat. Il reste 20 minutes lorsqu'une grosse série décale. Justine rame de toutes ses forces mais n'échappera pas à la collision. "Je suis arrivé au moment de l'impact, et je me suis faite écarteler sous l'eau", avait-elle raconté dans un documentaire Intérieur Sport qui lui était consacré sur Canal+.
Si sa préparation physique et mentale lui permet de garder son calme, la violence du choc laissera des séquelles corporelles. De retour sur le bateau, la Girondine se plaint de douleurs à l'épaule et au genou (bilan : luxation et fracture de l'épaule, traumatismes au ligament interne et croisé postérieur du genou droit). Fred David, son compagnon de vie et partenaire de tow-in, la rassure en attendant le retour au port : "Te retourner dans ces vagues, c'était incroyable. Tu vas revenir encore plus forte, encore plus motivée." Visionnaire.
"Elle va chopper la bombe."
Le chemin de la rédemption a été long pour venir à bout d'une intense rééducation au CERS de Capbreton (Landes) lors des mois qui ont suivi. Aujourd'hui encore, Justine porte les stigmates physiques de cet événement avec une cicatrice chirurgicale sous l'épaule. Les hivers ont passé et la surfeuse domiciliée à Nazaré n'a cessé de s'affirmer aux yeux du monde. Sans pour autant parvenir à exprimer l'étendue de ses talents à Pea'hi.
Puis vient la journée du 16 janvier dernier. Celle où tout bascule. Après avoir repoussé ses limites à Mavericks (Californie), Justine s'envole vers l'archipel d'Hawaï au moment où le swell de la décennie est annoncé au cœur du Pacifique nord. Plus de deux ans ont passé depuis sa mésaventure et la surfeuse française est bien décidée à prendre sa revanche. Il paraît que l'art de la réussite consiste à savoir s'entourer des meilleurs, alors Justine ne laisse rien au hasard. Elle retrouve alors Michel et Tyler Larronde, qui partagent leur vie entre Biarritz (Pays Basque) et Maui, et connaissent la vague par coeur. Quelques jours avant le pic de swell, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, on voit la Canaulaise essayer les straps de sa planche chez les plus Hawaiiens des surfeurs français, et Tyler lancer : "Elle va chopper la bombe." Visionnaire, aussi.
Un bonheur éternel
La suite, on la connaît. On n'a parlé que de ça ce week-end, et pour cause. Déposée à la perfection par Michel, Justine Dupont a dévalé une interminable face avant de se caler sous la lèvre et sortir les bras en croix. Une performance historique qui a bluffé la communauté toute entière. Deux ans, un mois et 20 jours après avoir subi les foudres de Jaws, Justine a connu le bonheur éternel.
Le 26 novembre 2018 sur le bateau, la chargeuse française a raconté beaucoup de choses sous l'effet de l'adrénaline et de la déception, avant d'être transportée en ambulance à l'hôpital. Notamment une. "C'est bête pour l'image des filles, je tombe dès la première série..." Elles te pardonnent.
Photo à la une : ©Capture d'écran/Powerlines Productions