--- Initialement publié le 19 mai 2020 ---
C'est un phénomène géologique invisible depuis les côtes, comme une cicatrice vivante qui sépare la côte landaise en deux. On lui doit la somptuosité de la vague de la Nord (Hossegor), la puissance de la Gravière (Hossegor) et la présence d'une biodiversité sous-marine extraordinaire. Avant qu'un homme n'y voue une véritable passion en lançant des travaux littéraires et scientifiques, on ignorait tout (ou presque) de son existence. Mais au fil des années et des recherches, le Gouf de Capbreton a piqué la curiosité des scientifiques, historiens, plongeurs et surfeurs.
Auteur de nombreux articles et ouvrages sur ce canyon sous-marin, instigateur principal des "Journées du Gouf", l'écrivain landais Hugo Verlomme revient sur le début des recherches sur le Gouf, évoque son influence sur les vagues d'Hossegor et de Capbreton et établit le parallèle avec son "jumeau", le canyon de Nazaré.
Surf Report : Avant les études scientifiques et géologiques qui ont révélé son existence, les marins et les pêcheurs connaissaient-ils le Gouf de Capbreton ?
Hugo Verlomme : Ce qui est raconté communément, c'est l'histoire de quelques bateaux qui, lors de tempêtes, auraient essayé de se mettre au calme au dessus du canyon en attendant de pouvoir rentrer au port, profitant ainsi de la profondeur des eaux. Mais il y a peu d'histoire sur le passé du Gouf, et je pense que c'était quelque chose de relativement occasionnel. On parle du XVe siècle, mais c'est possible que cela remonte avant. Le port de Capbreton était un grand delta, et il attirait des navigateurs romains, vikings, basques, bretons...
À quand remonte la cartographie sous-marine du Gouf ?
Elle n'a pas été faite d'un seul coup. Il faut savoir que le canyon fait 300km de long et atteint la profondeur de 4500m à son extrémité, dans le golfe de Gascogne. On a d'abord commencé à voir ce qu'il y avait devant Capbreton, puis il a fallu des campagnes de cartographie de l'IFREMER menées par Jean-François Bourillet (ingénieur géologue marin à l'IFREMER, ndlr) sur 10, 15, 20 ans, pour en savoir plus. Cela a mené à la cartographie du canyon pour la partie française. Puis la cartographie complète a été réalisée grâce à divers bateaux, divers instituts dont l'IFREMER. Aujourd'hui, grâce à des technologies comme le sonar à balayage latéral et la 3D, on a une cartographie complète du canyon.
Et qu'a-t-elle révélée, cette cartographie du littoral de Capbreton à Seignosse ?
La tête du canyon est large de 1200m. Elle s'étend de l'estacade de Capbreton jusqu'à la Nord. Je ne pense pas que le canyon ait un impact sur les vagues de Seignosse. Notre houle est essentiellement nord-ouest, la tête du Gouf s'arrête à Hossegor et Seignosse se situe à trois, quatre kilomètres au nord du canyon. Entre Hossegor et Seignosse, c'est le plateau landais.
Comment se produit la vague de la Nord ?
Grâce à une petite falaise qui fait partie de la tête du canyon. Un petit contrefort de la tête du Gouf qui s'élève 5-6m à peine, mais qui permet une focalisation de l'énergie de la houle. Les vagues de beachbreak pètent à droite et à gauche selon les bancs de sable. La Nord, dans la mesure où l'on peut considérer cette vague comme un reefbreak puisqu'elle se brise sur de la roche, se forme toujours au même endroit et forme un pic droite/gauche qui se transforme dans la Gravière.
Dans la Gravière ?
Ce qu'il faut comprendre, c'est que la Gravière est une reforme de la Nord. La Nord pète devant Hossegor puis une reforme se créé davantage au nord et forme la vague de la Gravière.
Et pourquoi les vagues de Capbreton sont-elles plus calmes ?
Lorsque la houle est nord-ouest, elle passe forcément au dessus du canyon avant d'atteindre la plage centrale de Capbreton et la plage du Prévent. Moins il y a de fond, plus la houle gonfle. Alors quand elle passe au dessus du canyon, l'inertie de la houle s'enfonce dans la profondeur du canyon et perd de son intensité. La Sud à Hossegor est également un spot de repli, mais il y a une digue donc c'est un cas de figure différent. La comparaison se joue vraiment entre La Nord et Capbreton quand la houle est nord-ouest, c'est pour ça que les surfeurs se replient sur Capbreton quand les vagues sont conséquentes à Hossegor.
D'un point de vue historique, depuis quand a-t-on cerné l'impact du Gouf sur les vagues de la Nord et de la Gravière ?
Les gens ne connaissaient pas son existence avant mon travail auprès des scientifiques. Vous ne trouverez pas d'articles destinés au grand public où il est question du Gouf avant 2005. Jusque-là, les vacanciers pensaient même qu'en s'avançant de quelques mètres après le rivage on tombait directement dans les abysses. J'ai dû contacter des experts, des chercheurs, des scientifiques... Je ne me souviens pas du moment où j'ai compris qu'il y avait une influence entre le Gouf et ces vagues, notamment La Nord. Mais ce qui est sûr, c'est que c'est récent. La mise en place des journées du Gouf en 2015 (voir par ailleurs) a aussi joué un rôle important. Des chercheurs du CNRS, de l'Université de Pau, de l'IFREMER et des scientifiques spécialistes du canyon du Nazaré se sont entretenus à cette occasion et ont discuté de l'influence du Gouf sur les vagues.
Jusqu'alors, depuis l'arrivée du surf en France, on connaissait le potentiel de la Nord mais sans l'expliquer...
On ne se posait pas la question, non. Déjà, les nuances "reefbreak" et "beachbreak" sont arrivées dans les années 80/90. Avant on parlait d'une vague, c'est tout. On n'utilisait pas de termes techniques et on ne se posait pas toutes ces questions que l'on se pose aujourd'hui. Puis la recherche des vagues a évolué, on a étudié l'influence du fond marin, les accidents du sol, la questions des bancs de sable... Ce sont des recherches plutôt récentes, qui datent de ces quinze dernières années.
On compare souvent les canyons de Nazaré et de Capbreton, au point de les considérer comme des "jumeaux". Pour quelles raisons ?
C'est pour cette raison que nos villes sont jumelées. Il existe des milliers de canyons dans le monde. Mais des canyons de ce genre, reliés au littoral, il y en a moins de 3%, dont ceux de Capbreton et de Nazaré. Au fil des recherches, en parlant avec les uns et les autres, on a découvert ces similarités géologiques.
Que se passe-t-il à Nazaré et comment le canyon sous-marin influe-t-il sur la taille des vagues ?
Là-bas, les plus grosses vagues du monde se forment grâce au canyon sous-marin. La différence avec le Gouf de Capbreton, en plus de la configuration de l'endroit et de la position géographique, c'est que le canyon devient très rapidement profond et ce, près du bord. Ainsi, quand les houles pénètrent au-dessus du canyon, elle se cassent en deux. Une partie reste sur le plateau et va plus vite, tandis que l'autre tombe dans le canyon et va moins vite. Parfois, la dérive littorale s'en mêle et forme un troisième impact. La percussion finale de ces différents trains de houle créent les vagues géantes de Nazaré.
Et quelles sont les autres caractéristiques ?
Il n'y a pas l'équivalent du Golfe de Gascogne au Portugal et la houle atteint directement le littoral. Je connais la personne qui prévoit les houles là-bas, Dino. Il parvient à prévoir les gros swells parfois quatre ou cinq jours à l'avance, en faisant ça de manière très scientifique. Il y a tellement d'enjeux... Lorsque Dino annonce qu'une houle de 10m à 15m approche, tout un manège se met en place. Des surfeurs viennent des quatre coins du monde avec leurs équipes de sécurité, de tournage... Les prévisions de houle à Nazaré ont atteint une autre dimension.
Dans votre ouvrage "Demain l'Océan", vous explorez des initiatives pour sauver la mer et l'humanité. Un des impacts du changement climatique sera la montée des eaux. En quoi cela modifiera-t-il le comportement des vagues à Hossegor ?
(Il réfléchit...) C'est une question technique à laquelle il est très difficile de répondre. La montée des eaux ne se produira pas de façon égale, il peut y avoir des pays et des littoraux où la mer montera beaucoup en cinq ans, sept ans ou huit ans, et d'autres endroits où elle ne montera quasiment pas. Cela peut varier à quelques kilomètres près ! À Hossegor/Capbreton, on a connu des épisodes de tempêtes importantes en 2014/2015. Tout est passé par-dessus les dunes. La montée des eaux est pour le moment limité, cela se fera par à-coups. Il faudrait que le littoral se modèle en fonction de cette montée des eaux et à partir de là, tous les cas de figures sont possibles. C'est un phénomène totalement imprévisible.
Photo à la une : Régis Parrens/Rip Curl Challenge la Nord 2019
À venir : Petite anatomie du Gouf de Capbreton