Environnement - Le bras de fer du projet "Golfe de Gascogne"

L'installation d'une ligne à très haute tension (THT) provoque la colère des riverains dans les Landes.

- @oceansurfreport -
Capbreton  © Florentine Delaunay

Depuis un moment maintenant, le projet "Golfe de Gascogne" sème la tumulte dans l'opinion publique. Réalisé par l'entreprise RTE pour le côté Français, il vise à créer une interconnexion électrique entre la France et l'Espagne pour permettre l'échange d'électricité entre les deux pays. À terme, les deux parties visent un niveau d'interconnexion électrique au moins équivalent à 10% de leur capacité de production.

Approuvé en 2002 par le conseil de l'Union européenne, le projet a ensuite été reconnu en tant que Projet d'intérêt commun de l'Union européenne le 14 décembre 2013. Pour faire simple, le projet "Golfe de Gascogne" c'est l'installation de lignes à haute tension sous-marines qui transporteraient l'équivalent en puissance électrique de "plusieurs réacteurs nucléaire"  et relieraient Bordeaux et Bilbao. L'objectif est (vulgairement) de rendre l'avenir électrique de la France et de l'Europe plus pérenne. C'est ce que nous indique Emmanuel Gosset, nouveau pilote du projet. 

Améliorer l'avenir électrique de la France

"Il y a 3 bénéfices principaux : utiliser une énergie plus sûre, plus verte et moins chère". Selon ce dernier, ce type de projet se multiplie en Europe, particulièrement dans le contexte de guerre en Ukraine. Cela permettrait d'avoir des solutions en cas d'avarie d'électricité en France, de consommer de manière économique, mais aussi de distribuer le surplus d'électricité produite grâce aux énergies renouvelables qui ne se stockent pas bien. "Sans notre liaison, nous allons gaspiller l'équivalent de la consommation d'à peu près un million de personnes" ajoute-il.

Ces liaisons seraient donc un des éléments clé pour sécuriser l'approvisionnement en électricité, tendre vers une neutralité carbone en 2050 et limiter la hausse des prix, comme on a pu l'observer cet hiver.


Pourtant, faire transiter 400 000 volts sur une distance de 420 kilomètres n'est pas une mince affaire. Malgré le budget initial de 2 milliards d'euros, les sociétés concernées se sont heurtées à de sérieuses difficultés.

Des complications sur le projet initial

La principale, c'est le gouf de Capbreton. Un canyon sous-marin qui prend source dans l'ancien lit de l'Adour, à 300 mètres au large de Capbreton. Avec une longueur de 270 km, une largeur de 15 000 mètres à sa zone la plus large et une plaine abyssale située à 3500 mètres de profondeur, le gouf est un véritable obstacle à la pose de ces câbles.


Après de longues recherches pour trouver une zone propice où traverser le gouf grâce à des forages, un laboratoire spécialisé a orienté l'entreprise vers une zone qu'ils pensaient adéquate. Mais en 2019, entre deux campagnes de sondage RTE sur les fonds marins de cette zone, l'un des flancs du canyon s'est effondré sans raison apparente. Deux cabinets d'expertise (Cathie Associates & Fugro) garantissent que l'incident pourrait se reproduire dans le futur. C'est alors officiel, aucun tracé maritime ne s'avère viable.

Il faut alors passer par voie terrestre pour contourner le gouf. RTE a ainsi dû solutionner de la sorte le problème, pour éviter de prendre trop de retard et de trop faire gonfler le budget. La solution proposée, c'est de modifier le tracé initial et d'en créer une portion terrestre. Cette portion du nouveau tracé sortirait au Sud de la plage des Océanides et repartirait par le Nord de la plage des Casernes, après avoir traversé Seignosse, Soorts-Hossegor et Capbreton.



Nombre de craintes soulevées

C'est cette annonce d'un tracé terrestre qui a mis le feu aux poudres. De nombreux habitants de la zone, riverains et autres amoureux du coin, ont levé la voix pour faire entendre leur désaccord. En cause, la crainte des effets néfastes que pourrait engendrer cette technologie en passant sous leurs pieds, mais aussi le fait de voir leurs villes et plages dénaturées par la pose de ces câbles.

On questionne donc d'abord l'effet sanitaire, car il est vrai que dans l'imaginaire collectif l'équivalent en puissance de plusieurs réacteurs nucléaires qui transiterait sous nos pieds, ça ne rassure pas. "C'est vrai que le sujet champ magnétique est un sujet qui fait peur " précise Emmanuel Gosset. Pourtant selon lui, une commission d'enquête a vérifié l'application de la réglementation et a affirmé que la pose de ces câbles ne représenterait pas de danger.

 plein fonctionnement, on mesurera de l'ordre des 80 microteslas, la réglementation est à 40 000. En comparaison, un IRM c'est 2 millions de microteslas. Nous sommes à 0,2% du seuil recommandé de l'exposition au public " précise t-il. Un niveau qui devrait encore être baisser, suite à une recommandation de cette commission d'enquête. "On va suivre cette recommandation mais c'est plus pour rassurer qu'autre chose" rajoute à ce sujet Emmanuel Gosset. 

Une opposition claire

Malgré ces affirmations, des collectifs naissent pour enquêter de leur côté. Et même si d'autres lignes électriques d'une puissance équivalente existent, comme la liaison IFA 2000 inaugurée en 1986 (qui relie la France et l'Angleterre en passant sous la Manche), ces riverains et usagers du lieu restent prudents.

C'est le cas du collectif Stop THT 40, un collectif de riverains notamment soutenus par des surfeurs français comme Joan Duru, Maud Lecar ou encore Marc Lacomare.

Ce collectif demande l'application du principe de précaution sur ce genre de lignes, et donc de les éloigner d'au moins 100 mètres des habitations (comme indiqué dans l'instruction du 15 avril 2013 relative à l'urbanisme à proximité des lignes de transport d'électricité). Une recommandation qui ne s'appliquerait pas aux liaisons à courant continu et donc au projet "Golf de Gascogne", comme indiqué par la DGEC (Direction Générale de l'Energie et du Climat) et la DGPR (Direction Générale de la Prévention des Risques) dans un courrier à la DREAL Nouvelle Aquitaine.

Une autre requête du collectif serait d'éloigner les atterrages (point de rencontre terre-mer des câbles) des plages fréquentées par de nombreux touristes et habitants de la zone.

Enfin, le collectif Stop THT 40 reproche également à RTE de s'être basée sur des études qui seraient d'une part plutôt anciennes (recommandations de l'INCNIRP de 1994 et 2009) et d'autre part se baseraient uniquement sur les risques d'une exposition aiguë et non chronique (régulière) aux champs magnétiques statiques, comme cela serait le cas pour les riverains vivant près du passage de ces câbles.

Liaison électrique aérienne en courant alternatif

Les CEM alternatifs et les CEM statiques : définitions

Pour éclaircir le débat, une explication s'impose. Il existe 2 types de champs magnétiques (CEM), les CEM d'extrême basse fréquence 50 Hz dits "alternatifs", produits par des installations électriques à courants alternatifs (comme utilisé pour la quasi totalité du réseau de transport et de distribution d'électricité en France) et les CEM dits "statiques".

Ce sont ces derniers qui nous intéressent aujourd'hui. Ils sont émis par des liaisons à courant continu, comme celles utilisées dans le projet "Golf de Gascogne", mais aussi dans des technologies de la vie courante comme les voitures électriques ou certains moyens de transport urbains.

Parmi ces CEM statiques, il en existe un naturel : le CEM terrestre, qui varie en intensité en fonction de l'endroit où l'on se situe sur Terre. À l'équateur, il est de l'ordre de 25 microteslas et grimpe à 70 microteslas aux pôles. En France, il est mesuré à 47 microteslasGrâce aux fabuleux aimants que sont les deux pôles de notre planète terre, le champ magnétique statique naturel nous protège notamment en partie des radiations du soleil. Il joue également un rôle dans la migration de nombreux animaux comme certains oiseaux ou poissons qui y sont sensibles grâce à la présence de cristaux de magnétite dans leur corps et de protéines appelées cryptochromes, présentes dans leur rétine. Des éléments d'information qui soulèvent aussi la question suivante : ce genre d'installation pourrait-elle les perturber ?

Les potentiels effets néfastes de la THT

Les opposants accusent donc RTE d'une mauvaise technique de mesure du champ électromagnétique (CEM), en additionnant celui émis naturellement par la Terre à Capbreton (47 microteslas) et celui qu'émettront les lignes souterraines (31 microteslas). Le reproche est le suivant : une étude de 2015 publiée par Dimitris Panagopoulos et Otte Johansson affirme que les CEM terrestres ne sont pas polarisés alors que ceux fabriqués par l'Homme le sont. De façon simple, les champs magnétiques naturels seraient moins dangereux que les champs magnétiques créés des mains de l'Homme.

Cette polarisation serait notamment à l'origine d'effets biologiques néfastes. C'est ce qu'avance une étude publiée dans le Journal of Marine Science and Engineering en 2022. Les chercheurs y ont décelé un retard de croissance chez les larves de homards, dû à des CEM d'origines humaines dans la mer d'Écosse.


Plus grave encore, un avis d'expert demandé au CRIIREM (Centre de Recherche et d'Informations sur les Rayonnements électro Magnétiques non ionisants) par le collectif Stop THT 40 aurait démontré la chose suivante : si l'exposition directe aux CEM de la ligne n'est pas dangereuse pour l'Homme, elle pourrait néanmoins affecter les implants actifs (stimulateur cardiaque, stimulateur neurologique, pompe à insuline) et causer des dysfonctionnements de ces appareils "lors de leur exposition à des champs électriques ou magnétiques dont l'intensité est parfois inférieure aux limites d'exposition fixées pour le public." 

 "Une souris contre un éléphant"

Ainsi, même si RTE se veut rassurante sur le sujet et même si l'enquête publique affirme que le projet ne comporte aucun danger pour l'Homme, les collectifs de riverains concernés par le passage de ces câbles continuent de douter. Ce sont ces zones d'ombre qui ont poussé le collectif Stop THT 40 à élaborer un nouveau tracé terrestre pour le proposer à RTE. Une manière de continuer la lutte contre ce géant de l'énergie française.


Tracé proposé par le collectif

"On propose une solution plus élégante, au niveau sanitaire comme au niveau environnement" nous explique un membre du collectif. D'après eux, ce tracé permettrait de mettre tout le monde d'accord en faisant entre autres sortir les câbles de la mer plus loin des lieux fréquentés, en les éloignant des habitations et en passant par d'autres endroits stratégiques afin d'éviter la coupe d'arbres et la création de bouchons dans la ville. En effet, les désagréments causés sur la ville et les forêts alentours par les travaux représentent le deuxième point reproché par le collectif à ce projet.

"On n'est pas dans l'optique de mener une révolte. Au contraire, on a étudié des moyens plausibles de rendre cette installation moins dramatique pour les riverains. Malheureusement c'est toujours le problème d'une souris contre un éléphant" - Stop THT 40.

Ce tracé, Emmanuel Gosset l'a eu sous les yeux. Et même s'il témoigne avoir voulu aller dans le sens du collectif, ce tracé poserait selon lui des contraintes techniques ou réglementaires, comme le passage par des espaces boisés classés qui rendent tout travaux interdit. Un argument à nouveau contré par le collectif Stop THT 40, selon lequel les alternatives proposées, ou du moins celle du passage par les massifs forestiers protégés, pourraient être réalisées.

Selon les opposants, détourer les sentiers déjà existants qui passent par ces espaces boisés classés serait compliqué à solliciter auprès des autorités compétentes, mais possibles dans le cadre d'une déclaration d'utilité publique (DUP). Les détourer permettrait d'autoriser le passage des câbles par ces espaces boisés classés et donc d'éviter la coupe de nombreux arbres sur le tracé initial. Stop THT 40 estime ainsi que RTE ne fournit pas aujourd'hui les efforts nécessaires pour arriver à un tel compromis.

Chêne marqué pour l'abattage

Une situation embourbée

Nous avons posé la question au pilote du projet de RTE : "pourquoi est-ce si dur de modifier ce fameux tracé ?" Emmanuel Gosset affirme que "Ce n'est pas nous à RTE qui décidons. Ce tracé, c'est le résultat d'une phase de concertation de plusieurs années avec les riverains, les élus, l'administration..." 

Le collectif se plaint pourtant de la sous-information des habitants des régions concernées et notamment des Girondins. Récemment, une partie de la population a bien eu l'occasion de s'exprimer sur le sujet au travers d'une enquête publique clôturée en fin d'année 2022. À l'issue de la réalisation de cette dernière, sur les 2000 avis de citoyens recueillis, 94% auraient exprimés leurs opposition à la réalisation du projet en l'état actuel des choses (selon les chiffres de Stop THT 40). Le retour positif de la commission d'enquête provoque donc l'incompréhension totale des sondés. 

Si RTE ne peut pas adopter le tracé du collectif, des discussions seraient en cours avec la Mairie de Capbreton pour "adapter la partie Sud du tracé". Ces dernières sont encore jugées bien trop dérisoires par les riverains concernés.

Tracé RTE

Une non-conclusion 

Ainsi, le mécontentement des riverains ne semble pas prêt de s'apaiser au vu de l'avancée des négociations.

S'il y a sans doute une part de diabolisant dans l'imaginaire collectif quand il s'agit des champs électromagnétiques, il a été prouvé scientifiquement qu'une faible exposition aux champs magnétiques statiques n'impacte pas directement la santé des personnes qui y sont exposées, même si ces dernières pourraient impacter le fonctionnement de certains dispositifs médicaux portatifs. En contrepartie, il est important de souligner le manque de recul de ces études réalisées sur les CEM, statique compris. Si l'on sait qu'ils ne font pas de dégâts immédiats sur le corps humain, il n'y a pas aujourd'hui le recul nécessaire pour affirmer qu'ils sont totalement inoffensifs au long terme, même si l'exposition est minime.

En deçà de ces craintes, il reste toujours la problématique du tort causé par les travaux à la flore et à la faune de la zone concernée. Même si Emmanuel Gosset, wind-surfeur sur son temps libre, tient à rassurer sur un dernier point : "On utilise des micros-tunnels qui n'abîment pas les dunes. Aussi, les câbles déboucheront dans la mer à plus de 800 mètres du rivage, cela ne dénaturera en aucun cas la vague" affirme t-il. C'est déjà ça de pris.

Rien n'est arrêté pour l'instant, mais les premiers travaux devraient commencer en fin d'année selon le chef de projet. Pour le collectif, le bras de fer continue, en espérant obtenir, au moins en partie, gain de cause. 

> Pour vous renseigner sur la ligne côté RTE
> Pour vous renseigner sur le collectif Stop THT 40         

    
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