Notre envoyé très très spécial Laurent Brun a rencontré pour Océan Surf Report l’ostéopathe Eric Robinson. Bonne lecture !
Éric Robinson : « Le problème, ce sont les voyages »
Éric Robinson fait partie de la charte médicale, en tant qu’ostéopathe-étiopathe (spécialiste des athlètes de haut niveau et enseignement formateur de techniques vertébrales), chapeautée par l’ASP (Association of Surfing Professionnals), et d’une équipe de sept personnes qui se relayent sur le tour professionnel. Il est le seul ostéopathe – les autres sont chiropracteurs – et officie sur le circuit pro depuis 1997. Il intervient en France, au Portugal, en Afrique du Sud et à Tahiti, principalement ; mais uniquement sur le World Championship Tour.
Laurent Brun : Éric, quand on est ostéopathe, comment s’y prend-on pour « gérer » un surfeur?
Eric Robinson : Tout d’abord, il y a une énorme différence, selon que l’on parle d’un surfeur amateur ou d’un surfeur professionnel… Concernant le surfeur quidam, je dirais, il faut au minimum une bonne condition physique, et entretenir quelque peu son potentiel pendant l’hiver… Bien que maintenant, avec l’évolution des combinaisons, les gens surfent toute l’année, suivant les lieux. Mais c’est bien d’avoir la condition minimale, ou de pratiquer la natation, le vélo ou de courir. Ensuite, évidemment, il faut faire des étirements, parce que dans le surf, c’est essentiel.
L.B : Et chez les professionnels ?
E.R : Dans le surf pro, sur le circuit mondial, l’un des gros problèmes, c’est la condition de voyage. J’entends par là quand le surfeur pro est tenu de voyager, et d’aller dans des endroits prestigieux pour les connaisseurs… Cela se fait surtout au détriment de sa santé ! Vu le nombre d’heures qu’ils passent dans les avions, avec des conditions exécrables… Parce qu’être tordu en deux, faire des allers-retours incessants entre deux compétitions, et manger de la nourriture pas super, ça ne permet pas d’être au top ! Donc, les décalages horaires en veux-tu en voilà, pour moi, sont la plus grande souffrance d’un surfeur pro. Après, en termes de condition physique, l’entraînement est automatique. Dans la plupart des gros teams, il y a des préparateurs physiques qui les prennent en charge. Mais, même durant une épreuve, selon l’importance des vagues, les surfeurs peuvent très bien abandonner la compétition – et j’en connais qui le font – pour aller surfer ailleurs, et faire un aller-retour ! Il faut savoir que dans les compétitions, il y a quinze jours d’attribués, et que durant ceux-ci, ils n’ont droit qu’à cinq jours de surf… Ce qui veut dire que pendant le temps restant, ils ne sont pas tenus d’être là. Surtout qu’ils savent à l’avance les conditions météo et, donc, quand il y aura des vagues ou non. Par conséquent, ils peuvent partir dans telle ou telle île, pour bénéficier d’un swell et surfer rien que pour le plaisir, ou pour des sessions avec photographes, puis revenir pour terminer la compétition ! Les problèmes sont en partie liés à tout cela…
L.B : Et quels sont les traumatismes principaux que l’on peut retrouver chez le surfeur ?
E.R : Avant, il se plaignait du bas du dos… Aujourd’hui aussi, en raison de la position de rame, qui oblige à être cambré au maximum, mais toujours à cause des conditions de voyage... Disons que ce n’est pas super physiologique non plus… Rien qu’à cause de ça, les surfeurs, surtout âgés de 22/23 ans, en arrivant sur le tour pro, ont d’énormes déformations de la colonne vertébrale. Ces déviations sont essentiellement dues à la rame, sachant que l’être humain n’est pas fait pour être constamment à plat… et qu’un pro peut surfer cinq fois par jours, à coups de trente minutes par cession. Donc, ça va vite… En termes de traumas purs, on voit que les surfeurs font aussi beaucoup de figures en rapport avec le skateboard. Les « aerials », notamment, qui occasionnent, à la retombée, beaucoup d’impactions. Chose que l’on n’avait pas avant. C’est quand le genou ou le pied viennent taper… C’est os contre os ! Avant, on avait chevilles/genoux mais, selon la position de surf, avec un porte-à-faux.
L.B : Y a-t-il un rapport corps-environnement qui favorise ou empêche la blessure ?
E.R : Automatiquement, quand on surfe en eau chaude, par exemple, on est plus à l’aise ; c’est-à-dire surf en short et torse nu ! Là, on est dans les meilleures conditions de surf. Mais avec les combinaisons tellement fines qui se font maintenant, franchement, on ne sent pratiquement rien. Plus on est libre dans ses mouvements, plus c’est agréable…
L.B : Dans votre métier et la gestion du sport de haut niveau, l’approche psychologique du patient est-elle importante ?
E.R : Alors, disons que les femmes sont plus simples… et je parle pour les pros. Mais en même temps, c’est plus difficile à gérer car elles cherchent le tout petit truc qui va les gêner… Elles sont plus rigoureuses, mais parfois pas toujours faciles à prendre en charge ! Si l’on raisonne en termes d’aspect psychologique, si le sportif a de gros problèmes dans sa tête, il n’a rien à faire dans le haut niveau ! Parce qu’il se fera vite rattraper par les autres. Et pour cela qu’il y a une grande marche entre l’amateurisme et le professionnel. C’est comme dans le football, ou autre : techniquement, ils sont presque tous pareils, mais après, ce qui fait la différence, c’est la tête. Il y a des tueurs (sic), des gagnants, et d’autres qui ne peuvent pas être dans les dix premiers, parce qu’ils n’ont pas le mental pour ça. Ils arrivent sur le circuit pro, gagnent un peu d’argent, et s’endorment sur leurs lauriers. Et là, c’est fini, car ils ne vont pas chercher à aller plus loin, alors que certains pourraient faire beaucoup mieux. Je ne leur jette pas la pierre, c’est juste que chacun voit son intérêt. Mais le pro, normalement, ne doit pas douter…
L.B : Pour empêcher le doute, utilisez-vous des techniques particulières ?
E.R : Je travaille beaucoup sur tout ce qui est du domaine de la relaxation, lorsqu’il va y a avoir de grosses vagues. Car il y a deux types de surfeurs : le pro, qui surfe des vagues normales, et le « big wave rider », qui va shooter le gros, dans d’énormes conditions. Et ce sont deux choses totalement différentes : l’un aura le stress de la compétition, et l’autre celui de la grosse vague…
L.B : Suivez-vous des compétiteurs en particulier ?
E.R : Je les vois toute l’année, donc je les côtoie à peu près tous, mais je ne suis pas particulièrement l’un plus que l’autre. Après, j’ai plus d’affinité avec les Français, bien sûr, et les Européens, mais je m’entends très bien avec d’autres, tels que les Australiens ou les Hawaiiens, avec lesquels je prends beaucoup de plaisir à travailler.
L.B : La gestion athlétique du surfeur est-elle la même que celle d’un footballeur pro, par exemple ?
E.R : Disons que la seule différence qu’il y a, je dirais vulgairement, c’est l’argent, le budget… Chez le footballeur, c’est à chacun son métier. Quand vous vous trouvez au fond d’une île ou d’une crique, on est obligé de tout faire. Il faut jouer les nounous, assurer la nurserie ou mettre un strapping ! Voire un peu de soin, alors qu’à la limite, je n’en ai presque pas le droit ! Bon, j’ai mes diplômes pour ça, mais on est obligé d’intervenir. Dans le foot, et je parle pour moi, je reste à ma place. Je ne suis qu’un ostéopathe, et tout ce qui est gestion autre que l’ostéopathie n’est pas pour moi. Il y a un staff médical complet pour cela. Après, si l’on parle de l’aspect humain, des casse-pieds, il y en a partout… (Rires).
Propos recueillis par Laurent BRUN et remerciement à Eric Robinson pour sa disponibilité.
Qui est Eric Robinson ?
Éric Robinson, surfeur passionné (en longboard), exerce à Hourtin (33). Mais il intervient aussi dans d’autres domaines. Dans le staff médical du F.C. Bayern Munich de 2000 à 2007, il travaille en collaboration avec le F.C. Girondins de Bordeaux depuis 1999 et, en parallèle, avec les médecins des sélections nationales françaises de rugby et de football. Éric Robinson est également intervenu deux fois auprès du F.C. Barcelone, et va travailler à partir de septembre prochain avec le S.L. Benfica, puis en fin d’année, en Italie, notamment. Sans oublier le grand public…
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