- Article initialement publié le 03 janvier 2021 -
La plus grosse, la plus massive, la plus parfaite, la plus engagée... Il serait superficiel de réduire une session à une succession de superlatifs. Même si pour le coup, ils manquent. Ce qui s'est passé hier dans les Landes, entre le spot des Gardians et des Estagnots à Seignosse, a un goût d'achèvement. D'abord celui d'avoir enfin vu ces vagues révéler leur potentiel phénoménal grâce à un créneau météorologique idéal et des bancs de sable parfaitement calés. Ensuite, l'aboutissement plus général d'une nouvelle génération qui joue avec les limites.
"Il s'est passé un truc", indiquera Didier Piter plus bas dans ce recueil de témoignages. "On est un peu entré dans une nouvelle ère car avant, ce genre de session, c'était réservé aux jet-skis. Et le réflexe pour les autres, c'était de se réfugier sur des spots de repli à Capbreton ou ailleurs." Désormais, la relève landaise va au charbon, qu'il s'agisse d'un engagement ultime à la rame ou d'une volonté de tracer de nouvelles lignes avec l'aide d'un jet-ski. Elle jongle entre l'insouciance, la maîtrise technique et la confiance en soi, motivant leurs aînés par la même occasion. Pour savoir exactement ce qu'il s'est passé hier à Seignosse, nous avons demandé aux acteurs principaux de cette session d'anthologie de raconter leur journée. Vincent Duvignac, Didier et Sam Piter, Tristan Guilbaud, Kyllian Guérin, Louis Poupinel... Ils évoquent leur version de ce qui restera peut-être comme "la meilleure session jamais vue à la rame dans les Landes".
Tristan Guilbaud (rame) - "Je sors du tube les bras en croix, avec le souffle, c'était magnifique !"
T.G : "Comme tout le monde, je suis allé checker à Seignosse le matin, vers 8h30/9h. La marée était basse et ça fermait pas mal, mais on voyait déjà que c'était solide. Dans ce genre de journée, j'aime bien prendre le temps, faire ma routine quotidienne et ne pas me précipiter. Je suis retourné checker vers 13h, Kyllian (Guérin) était déjà à l'eau. J'étais sur le parking et j'ai halluciné : des espèces de murs de trois mètres qui tombaient avec des souffles... Ça faisait un moment que je m'entraînais, je me sentais bien et j'étais excité à l'idée de pouvoir repousser un peu mes limites à la rame. Je suis parti me changer et je suis rentré à l'eau avec une 5'11'' en quattro, un peu courte pour le coup. Les conditions étaient compliquées pour une session à la rame. Il y avait beaucoup de jet-skis, pour eux c'était la gavade et on était peu à la rame : Kyllian Guérin, Vincent Duvignac, Thomas Maallem, William Aliotti... Louis Poupinel aussi. On a beaucoup bataillé dans le courant mais la sensation de partir sur une bombe, je pense qu'elle est décuplée. J'ai dû rester 4h à l'eau, et vers 16h une nouvelle grosse série est rentrée. Kyllian part sur celle d'avant, "Duvi" rame mais il est juste un peu late et ne parvient pas à démarrer. Je me retourne au dernier moment, je pars dans le vide mais je pose mon take-off, gros bottom et je rentre dans un espèce de truc immense... Je sors les bras en croix, avec le souffle, c'était magnifique ! Certes ça ne valait peut-être pas les bombes atomiques des gars en jet-ski, mais en prendre une comme celle-ci à la rame, j'étais tellement content. C'était assez fou de faire partie de cette journée, avec tout le monde qui score ces bombes dans tous les sens. C'était incroyable à voir... Et de pouvoir repousser les limites de la rame sur ce genre de spot, c'était fou. Cette journée restera dans les annales."
Vincent Duvignac (rame) - "Il y avait moyen de se faire peur"
V.D : "Quand le spot a commencé à fonctionner, le passage de barre était vraiment intimidant. J'étais très surpris de la puissance des mousses au bord, ça rendait la chose très intimidante notamment avec la force des courants. Personnellement, j'ai stressé pendant 4h30, c'était vraiment impressionnant surtout qu'il fallait se placer sous le bowl pour espérer démarrer avec nos planches plutôt courtes. En jet-ski, c'était une boucherie, la perfection pour faire du step-off. Et à la rame, on était seulement une poignée et le challenge était complètement différent. Mais c'était excitant de voir tout le monde se gaver comme ça, à chaque fois qu'un énorme tube passait, on voyait un petit point noir dedans. Des visions surréalistes ! Il y avait moyen de se faire peur, moi-même en bouffant je me suis fait quelques frayeurs. J'ai eu une magnifique première vague avec deux tubes. Je pense que c'était la session ultime à la rame sur le spot des Gardians, je ne suis pas sûr qu'il y ait déjà eu pas le passé des sessions à la rame dans des conditions aussi extrêmes."
Kyllian Guérin (rame) - "J'ai passé deux vagues sous l'eau, ça m'a un peu séché"
K.G : "Ça a été une sacrée journée, beaucoup pourront le dire. Je suis allé checké assez tôt le matin, mais c'était trop bas et pas calé. Alors je suis rentré chez moi avant de retourner voir le plan d'eau vers 10h/10h30. J'ai vu quelques bombes et je me suis dit pourquoi pas y aller et essayer de trouver quelques vagues. Je suis parti tout seul à la rame, j'ai un peu bataillé mais j'ai réussi à passer la barre. Au bout de 45mn à me placer au pic, j'ai pris une première vague et j'ai fait un gros haut-bas. J'ai passé deux vagues sous l'eau et ça m'a un peu séché. Mais j'ai décidé de retourner au pic et après avoir repassé la barre, j'ai été rejoint par un autre surfeur. Après 45mn tout seul, ça faisait du bien de voir quelqu'un d'autre dans l'eau ! D'un coup, une grosse droite est arrivée en triangle et après ma petite frayeur, je me suis dit qu'il ne fallait pas la louper. Je suis parti et j'ai eu le premier d'un véritable festival de tubes. En tout, j'ai dû passer sept heures à l'eau hier, à me gaver avec tout le monde et prendre des bons barrels. C'était sacrément intense et compliqué, mais ça en valait largement la peine."
Didier Piter (rame) - "J'ai dit à Sam : "On va crever !""
D.P : "Depuis le début du mois de novembre, on va de surprise en suprise, de session de l'année en session de l'année. À force d'étudier le spot on savait que dans ces conditions météorologiques, les vagues allaient être parfaites, limite trop gros. Sam Carrier et Kyllian Guérin ont fait partie des premiers à l'eau, et ont prouvé que c'était surfable en prenant des bombes. Historiquement, ce spot tient le gros et c'est l'endroit idéal pour se challenger à la rame. Là c'était Mexicain... (Il reprend) Fin non, c'était Landais ! On a vu Sam Carrier et Kyllian prendre des sacrées vagues, et mon fils Sam (Piter) s'est chauffé. C'était chaud, je ne voulais pas trop le laisser aller seul alors je l'ai accompagné. Faut voir comment c'était gros, j'ai vu Sam Carrier prendre un immeuble sur la tronche et bouffer à l'impact sur trois vagues d'affilée... Le pire, c'est qu'il est revenu au pic ! Et qu'il a sans doute pris la plus belle vague à la rame que j'ai jamais vue dans les Landes, j'espère que vous l'avez en photo. Au bout d'une demi-heure après notre mise à l'eau, tous les jet-skis sont arrivés et l'ambiance au pic a changé. Certaines vagues n'étaient clairement pas prenables à la rame donc on pouvait cohabiter. Le seul bémol c'est que parfois, l'un d'entre nous ramait sur une vague et que les jet-skis s'en foutaient. Je pense notamment à William Aliotti qui a longtemps attendu sa vague et qui n'a pas pu partir à cause de ça. Mais c'est une autre histoire, un autre débat à développer.
"On passe la première de la série au dernier moment en canard, mais on savait que la suivante on allait se la prendre" - Didier Piter.
Plus la marée montait, plus ça devenait intense. J'ai vu Marc Lacomare et Joan Duru (en step-off) prendre des souffles magnifiques, c'était d'une pure puissance. Nous à la rame, on était un peu en "survival mode". À un moment, j'étais avec mon fils pour prendre les gauches, et je me suis demandé si on était bien placé. J'ai à peine dit ça qu'une énorme série nous est tombé sur la gueule... On passe la première de la série au dernier moment en canard, mais on savait que la suivante on allait se la prendre. J'ai dit à Sam : "On va crever !", mais il ne m'a pas entendu. Sous l'eau on s'est fait ravager. Nos planches ont pété net, et on s'est fait plaquer au fond. J'ai cru que mes oreilles allaient exploser. On est remonté à la surface, sans planche, mais on était content de se voir ! Bref, on a bouffé entre père et fils, et après coup il faut dire que c'était une bonne expérience. D'un point de vue général pour moi, on est un peu entré dans une nouvelle ère. Avant ce genre de session, c'était réservé aux jet-skis et le réflexe pour les autres c'était de se réfugier sur des spots de repli à Capbreton ou ailleurs. Là, une toute nouvelle génération de jeunes veut aller au charbon et scorer des gros tubes. Il s'est passé un truc. Toujours est-il que pour moi, c'est la meilleure session que j'ai jamais vue à la rame dans les Landes.
Louis Poupinel (rame) - "J'ai passé 45mn à prendre des branlées"
L.P : "La journée commence et je n'étais pas forcément chaud pour aller surfer. Mais en checkant, je vois une passe en face des Estagnots. À la rame ça pouvait passer, mais c'était très solide. Je suis rentré chez moi chercher un gilet impact, et comme je n'avais pas de board adaptée, je suis allé en chercher une chez Euroglass à Hossegor. Ils m'ont prêté une 6'8'' montée en quattro, une planche d'Othmane (Choufani). Une fois de retour à Seignosse, le spot s'était métamorphosé. C'était quasiment impossible de passer la barre et j'ai passé 45mn à prendre des branlées. Une fois au pic, j'ai attendu une demi-heure avant d'avoir deux bonnes gauches. Ma session de l'année pour le moment !
Sam Piter (rame) - "On est revenu vers 10h et là, on a vu des espèces de bombes passer..."
S.P : "J'avais vu les prévisions avec mes potes, on savait que ça allait être grave mais on se demandait si ça n'allait pas être trop gros. Avec Noa (Dupouy), on s'est donné rendez-vous tôt pour aller checker aux Estagnots et aux Gardians mais la marée était trop basse. On est revenu vers 10h, et là on a vu des espèces de bombes passer... Kyllian (Guérin) était déjà dans l'eau, alors on s'est chauffé. Noa a rejoint son père et moi je suis allé à la rame. J'ai pas eu tellement de vagues, j'ai pété ma planche en prenant une série à l'impact et on m'a ramené au bord en jet-ski. J'hésitais à aller chercher une autre planche, puis j'ai vu Noa sortir de l'eau et son père me faire signe de le rejoindre sur le jet-ski. C'était la première fois de ma vie que je faisais du step-off, j'ai essayé pendant 1h30 et j'ai eu quelques vagues. Des bons tubes à la maison, ça fait plaisir."
Noa Dupouy (step-off) - "Je suis rentré à fond dans le tube, puis la vague a soufflé..."
N.D : "C'était assez gros, je dirais qu'il y avait entre trois et quatre mètres. Le gros point positif, c'est qu'il n'y avait pas beaucoup de coefficient et les conditions ont été bonnes tout au long de la journée, jusqu'au sunset. Les vagues étaient incroyables, c'était génial d'être avec tout le monde et il y avait vraiment une bonne ambiance. De mon côté j'ai réussi à avoir cette vague qui a décalé... En fait j'étais derrière le jet-ski avec mon père (Rudy Dupouy), on a vu la série rentrer, j'ai sauté sur une vague et je l'ai tendre d'un coup. Je suis parti, j'ai tout donné, pompé encore et encore. Grâce à ma planche (une Stretch montée en quattro taillée pour le step-off), j'ai pu prendre beaucoup de vitesse, j'ai vu venir la section, je suis rentré à fond dedans, puis la vague a soufflé et là je suis sorti. C'était juste une journée de dingue."
Sam Carrier (rame) - "Je me rappelle m'être retourné en voyant Didier et Sam à l'impact [...] J'ai vraiment eu peur pour eux"
S.C : "Le matin, j'étais excité parce que cette journée était annoncée comme très solide. J'ai déposé mes enfants à l'école puis je suis allé checker. Quelques gars étaient déjà à l'eau, notamment en jet-ski avec Joan (Duru) et Marc (Lacomare). Je suis parti à la rame pour rejoindre le pic et j'ai trouvé le bon créneau avec la passe. J'avais une 8'2'' shapée par Rob Vaughan, bien plus grande que celles des autres gars à la rame. J'ai eu quelques vagues assez tôt dans la session puis j'ai regardé les autres surfeurs charger. Marc, Joan mais aussi Miky (Picon) et Sancho (Benjamin Sanchis) bien-sûr ! Et surtout les jeunes, Kyllian, Noa, Justin (Becret)... Je me suis décalé légèrement vers les Estagnots, et je me rappelle m'être retourné en voyant Didier et Sam à l'impact, au moment où une énorme série est rentrée. J'ai vraiment eu peur pour eux. Par la suite, François Liets m'a emmené au large avec son jet-ski. J'ai vu quelques grosses séries rentrer, et c'est à ce moment que cette fameuse vague est rentrée. J'ai vu quelqu'un sur l'épaule au moment de faire mon take-off, puis j'ai droppé, j'ai fait un gros bottom avant de me caler dans le tube. C'était tellement gros ! J'étais deep mais j'y ai cru, et j'ai poussé, encore et encore, jusqu'à trouver la porte de sortie. Ça faisait des années que je n'avais pas surfé des vagues pareilles, et c'était bon de renouer avec cette puissance. Mais ce que je retiens surtout, c'est l'engagement des jeunes."Thomas Maallem (rame) - "J'ai pris un set sur la tronche et j'ai dû repartir de zéro au bord"
T.M : "C'était une journée attendue, c'est clair. Pour ma part, je voulais surfer le remontant donc je ne me suis pas pressé le matin. J'ai eu "Poupi" (Louis Poupinel) au téléphone en train de checker, il était excité comme un fou ! Habituellement, je vais en step-off avec mon frère (Thomas Maallem) mais ce jour-là il n'était pas disponible, alors je n'avais pas le choix. C'était la même bande que d'habitude à la rame et c'était cool de les rejoindre. Quand je suis arrivé au bord face aux Estagnots, Sam Carrier a pris un énorme tube. Ça m'a bien chauffé avant de passer la barre, un vrai moment de solitude. J'ai ramé au large pendant 40 minutes, j'ai pris un set sur la tronche et j'ai dû repartir de zéro au bord. Une fois arrivé au pic, tu vois tout le monde, t'es content ! Ça mettait une bonne pression avec ces grosses cavernes qui passaient, mais il fallait être patient. J'ai surfé entre 2h30 et 3h avec "Poupi". J'ai eu une bonne gauche, sans prétention à côté de ce que prenaient les surfeurs en jet-ski et Kyllian Guérin, qui a calmé tout le monde. Je pensais sortir directement après cette vague mais les copains en jet-ski sont venus me chercher et m'ont permis de repasser la barre. C'était rassurant de savoir qu'on pouvait compter sur eux en cas de problème, comme quand Sam et Didier (Piter) ont bouffé. On a pu rester dans l'eau avec un peu moins de stress, et les jeunes ont pu continuer à nous impressionner. C'était cool de faire partie de ces moments-là. C'est de loin la session la plus grosse que j'aie jamais faite à la rame et je m'en souviendrai longtemps."
Photo à la une : Vincent Duvignac par ©Sebastien Picaud (@seb.picaud)