Interview - Ian Fontaine : ''J'ai voulu faire les choses à fond, trop peut-être''

Dans un court-métrage, le surfeur finistérien revient sur une introspection forcée par la crise Covid-19 et surtout, par le diagnostic d'une hernie discale.

- @oceansurfreport -

Il souffrait du dos depuis un moment, comme tout le monde a souffert ou souffrira un jour où l'autre, à des degrés de douleur et de gravité variables. Alors Ian Fontaine ne s'est pas vraiment inquiété, jusqu'au jour où son corps à dit : "Stop." C'était en janvier 2019, au moment où le surfeur finistérien préparait une nouvelle année d'espoir et promesses, entre free-surf et QS.

Diagnostic : hernie discale L5 S1. Une lésion organique qui, selon le Consortium National de Formation en Santé, résulte du déplacement du disque cartilagineux intervertébral. Cette blessure, qui se caractérise notamment par des douleurs lombaires, est handicapante et met un certain temps à se résorber. Elle a contraint Ian a passé six mois hors de l'eau, au même moment où le coronavirus allait confiner le monde. Pas simple à vivre quand on a connu la liberté.

Mais fort de son expérience et d'un entourage sur qu'il peut compter, le Quimpérois qui suit le circuit professionnel a su se relever. Dans "Jean Fon et l'horrible hernie", un court-métrage conçu aux côtés de la jeune réalisatrice originaire de Plonéour-Lanvern Mégane Murgia, Ian a souhaité s'exprimer librement. Dans son style, évidemment.

Surf-Report : Comment est née l'idée de ce court-métrage ?

Ian Fontaine : Je voulais revenir sur l'année passée et expliquer comment j'ai géré cette hernie discale. Ça fait déjà cinq ou six ans que j'ai des problèmes de dos récurrents et que mon corps m'envoie des alertes. Des lumbagos à répétition que j'ai laissé passer comme si de rien n'était. Jusqu'au jour où ça a commencé à être sérieux. La hernie discale, ce n'est pas une blessure commune. On ne le vit pas de la même manière qu'une fracture de la cheville ou qu'une entorse du genou. Quand on annonce que tu as une hernie discale, les médecins te regardent et disent : "Il va falloir vivre avec." Et poursuivent en disant que le sport de haut-niveau et que le surf, ce sera compliqué.

Comment réagis-tu lorsque cette blessure, en bas de la colonne vertébrale, est diagnostiquée ?

Ça m'a mis un gros coup. Puis j'en ai parlé autour de moi et je me suis rendu compte que ça a touché pas mal de gens, dont certains que je connaissais. Ils m'ont expliqué comment gérer ça au quotidien, certains ont diminué voire arrêté le surf. D'un côté, ça m'a permis de faire un certain bilan dans ma vie. Et suite à ça, je me suis dit qu'à mon tour j'aurais bien aimé transmettre ce que j'ai appris de cette blessure.

Avec le ton employé et la mise en scène dans le court-métrage, on dirait que tu as relativisé...

Exactement. Le fait d'avoir été blessé, le Covid, le confinement... Comme pas mal de gens, ça m'a permis de prendre du recul et me poser les bonnes questions. Pas uniquement sur mon bilan santé, mais aussi d'un point de vue éthique. Des questions toutes simples, comme : "Est-ce que prend mille avions par an pour faire des compétitions, sans nécessairement tirer du positif d'un voyage de quelques jours uniquement, ça a encore du sens ?" Et puis j'avais été assez "dark" sur mes réseaux sociaux avec cette hernie discale. Là, je voulais faire quelque chose de plus optimiste.

Tu as des regrets liées à cette blessure ; des objectifs que tu aurais voulu accomplir et que tu n'as pas pu réaliser ?

Des regrets non mais plutôt des remords, de ne pas avoir pris en considération dès le début les alertes de mon corps et aménager mon quotidien en fonction. J'ai voulu faire les choses à fond, trop peut-être. L'année de ma blessure, en 2019, j'avais trois casquettes différentes. Je coachais les Juniors pour Billabong, avec dix compétitions par an et les Mondiaux en fin d'année. Je suivais le circuit QS en tant que compétiteur, avec des étapes un peu partout en Europe ou dans le monde. Et en plus de ça, pour financer ces voyages, je bossais en tant que podologue et je dirigeais des entraînements. Tu peux pas faire tout ça à fond et sortir en bonne santé...


"Mes rêves resteront les mêmes. Je vais seulement changer le chemin pour les réaliser"


Tu as passé près de six mois hors de l'eau, comment as-tu géré cette période délicate ?

Honnêtement, je ne sais pas (il rit). C'était forcément compliqué, on se pose beaucoup de questions. Être en dehors de l'eau tout en sachant qu'on va à nouveau pouvoir surfer à 100%, ça va. Mais voir des spécialistes et des chirurgiens qui te disent que le surf de haut-niveau, et même le surf tout court, ça va devenir difficile... C'était l'incertitude totale. Et puis j'étais enfermé chez moi avec cette blessure et paf ! Le Covid, le confinement, les incendies en Australie, le monde qui part un peu en cacahuètes... Ça te fait cogiter.

En mai 2019, tu as effectué ton retour à l'eau sur une board en mousse et avec tes frères...

Ça, c'était vraiment symbolique. Dans ce cas précis, on se pose beaucoup de questions, si on va pouvoir se lever, surfer sans trop avoir de douleurs... Ce jour-là, qui coïncidait avec mon retour à l'eau et peu après la sortie du premier confinement, les vagues étaient parfaites, une petite houle en bas de la maison familiale avec les amis proches, ma copine et mes frères. Un grand soleil, de l'eau turquoise et le petit peak parfait qu'on a trois fois dans l'année. Je m'en souviendrai toute ma vie de ce moment. Quand les sensations reviennent, c'est comme une renaissance. Habiter près de la mer, avoir ce cadre et ce rythme de vie au quotidien... C'est quand on te l'enlève que tu prends conscience de la richesse de la chose.

L'automne dernier a marqué la fin d'une aventure de 17 ans avec ton sponsor principal. Ce n'est pas trop frustrant de terminer de cette façon ?

Je savais que ça allait être compliqué avec la crise sanitaire. Beaucoup de surfeurs autour de moi ont perdu leurs financements, je ne suis pas le seul. Et je m'attendais à ce que ça me tombe dessus. Et puis avec les dernières évolutions et les modifications de statut (le groupe Boardriders Inc - Quiksilver, Roxy et DC Shoes - a racheté Billabong début 2018), beaucoup de personnes se sont faites remercier. Les années n'auraient jamais été aussi belles qu'avant. J'aurais pu rester avec un autre type de contrat mais j'ai préféré tourner cette page. J'ai passé quasiment 17 ans chez eux, ça fait des souvenirs. Billabong, c'était plus qu'un sponsor pour moi, c'était devenu une famille. Quand j'ai dû les quitter ça m'a mis un coup.

Dans une publication sur les réseaux sociaux, tu évoquais l'évolution de l'industrie, des demandes des marques auprès des surfeurs...

Je ne veux pas faire le philosophe, mais en effet il y a eu beaucoup de changements ces derniers temps et les rapports ont changé. Aujourd'hui, on n'est plus des riders au sein d'une marque. On est nos propres marques et les entreprises investissent dedans. Au départ, c'est à nous d'investir dans nos marques et c'est ce qui attire les sponsors, comme des influenceurs en fait. Avant on rentrait dans un team et on t'offrait un vrai suivi. On parlait pas vraiment d'un budget, mais d'un service dédié aux compétitions, à l'entraînement, à tes planches.


"Le coaching, c'est quelque chose que j'aurai toujours en moi."


Tu es nostalgique de cette époque ?

Je ne sais pas vraiment. Par exemple, moi le premier j'utilise les réseaux sociaux et je trouve ça intéressant. Mais j'ai aussi l'impression que ça dénature pas mal de choses quand je vois l'impact que ça a. On peut parler de ça des heures... Ce que j'aimais bien, c'était le contact humain. On ne te jugeait pas sur ton nombre de vues sur Instagram ou TikTok, mais sur ce que tu dégageais, la personne que tu étais.

Comme évoqué, tu as également endossé le rôle de coach pour ce sponsor. Ça te fait quoi de voir ce que sont devenus les jeunes que tu suivais : Justin Becret, Tiago Carrique... 

Ça me rend heureux, admiratif et fier. Pour les avoir côtoyé pendant toute une saison, ce sont des jeunes avec des belles valeurs, au-delà de leurs résultats sportifs qui sont impressionnants. Je suis content de voir ce qu'ils sont devenus, mais aussi tristes pour eux. Ils sortaient d'une magnifique année dans les rangs juniors en 2019. Et ils étaient prêts à tout éclater sur le circuit QS. Mais avec le Covid, cette année sans compétition qui ne permet pas de se comparer aux autres, les renégociations de contrats... C'est triste pour eux. Ils méritent d'avoir un suivi approfondi. Pour avoir vécu cette période plus jeune, ce sont des années charnières.

Le coaching, c'est une branche où tu aimerais bien approfondir ?

C'est quelque chose que j'aurai toujours en moi. À l'image de Thomas Joncour (considéré comme le premier surfeur pro breton et un des mentors de Ian) qui a parrainé des jeunes comme moi par le passé et qui continue de m'aider aujourd'hui. Même avec mes frères (Gordon, de quatre ans son aîné et Scott, six ans de plus que Ian), on a toujours fonctionné comme ça. Transmettre son expérience avec les générations suivantes, je trouve ça normal.

La suite de ta carrière à court et à moyen terme, tu la vois comment ?

Ah, bonne question. (Il réfléchit) À court terme, il y a ce circuit européen QS qui comporte moins d'étapes, nécessite moins de budget et me plaisait bien, que j'aimerai poursuivre. Mais avec le Covid, c'est très flou. À long terme, je veux progresser et devenir un meilleur surfeur chaque jour. Le surf, c'est toute ma vie. Et puis j'ai des rêves qui ne concernent pas que la compétition ou les résultats. Des voyages que je veux faire, des vagues que je veux surfer. Des rêves de gosse en fait, comme découvrir J-Bay ou Teahupo'o par exemple. Ces rêves resteront les mêmes. Je vais seulement changer le chemin pour les réaliser, et ce sera tout aussi bien.

Réalisation : Ian Fontaine (@ianfontaine) avec Mégane Murgia (@meganemurgia) et Corentin Le Nedic (@corentinlenedic)
                
Mots clés : ian fontaine, bretagne, finistère, hernie discale, mégane murgia, coronavirus | Ce contenu a été lu 13267 fois.
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