Mercredi 2 décembre 2020 au large du Cap de Bonne-Espérance (Afrique du Sud). Il est 9h20 heure française lorsqu'Arkea Paprec, l'Imoca de Sébastien Simon, heurte un objet flottant non identifié. Le choc entraîne des dégâts importants sur le foil tribord de l'embarcation de 60 pieds et les réparations sont impossibles à réaliser seul. Aux prises avec une voie d'eau, le skipper originaire des Sables-d'Olonne, alors 4e du Vendée Globe, doit se rendre à l'évidence et abandonner. "J'ai donné tout ce que j'avais. J'y ai mis beaucoup de passion et d'énergie, j'avais envie d'y arriver. L'aventure s'arrête là. Je suis désolé pour tout le monde", avait réagi à chaud ce compétiteur dans l'âme.
Heureusement, le Sablais sait surmonter les échecs et se relever après une chute. Normal, il surfe. Et plutôt bien. Plus d'un mois après son retour en France et avec des idées plein la tête pour la prochaine édition du "Vendée", Sébastien évoque sa passion pour la pratique, son intérêt profond pour la météo et revient sur la fois où il a pris un barrel en Indonésie aux côtés du surfeur pro finistérien Gaspard Larsonneur.
Plus d'un mois après avoir quitté la course et avec du recul, quels souvenirs gardes-tu de ton premier Vendée Globe ?
Je suis forcément déçu d'avoir abandonné plus tôt que prévu. Il s'agissait d'un rêve dont je m'estime chanceux d'en avoir réalisé une partie. J'avais à coeur d'aller au bout et de faire un résultat. C'était une expérience incroyable, j'ai pris du plaisir et j'ai appris beaucoup de choses. Et puis j'étais 4e, en embuscade derrière le podium... Mais quelque part, j'ai déjà tourné cette page-là. Par contre, ça me donne clairement envie de revenir en 2024.
Tu as passé près d'un mois en mer. Pour passer le temps, ça t'arrivais de penser aux vagues que tu allais surfer en rentrant aux Sables-d'Olonne ?
(Il rit) Une fois en mer, on y pense assez souvent en fait. En plus j'ai eu la chance d'avoir de jolies conditions juste avant le départ. Sur le Vendée, je surfais quand même sur des vagues mais avec un bateau, les émotions sont différentes même si ça reste des sensations de glisse. Avec les bateaux d'avant, on avait vraiment cette impression de surfer des vagues. Avec les foils et le fait qu'il permettent de survoler au dessus de l'eau, c'est un peu différent.
Après avoir amarré au port de Cape Town (Afrique du Sud), tu es rentré à la mi-décembre en France. As-tu trouvé le temps d'aller surfer depuis ?
On a eu des jolies sessions, même si l'eau est gelée ! Quand je suis revenu chez moi et que je suis retourné à l'eau, j'avais perdu pas mal de mon niveau. Là en ce moment, c'est plus calme. Alors je fais de la course à pied, du vélo... Je m'entraîne pour potentiellement faire un Half Ironman (Triathlon longue distance, ndlr) en fin d'année. En ce moment, mon bateau est sur un cargo et il n'arrivera qu'à la fin du mois de janvier. Je ne vais pas naviguer avant quelques mois alors j'essaie de m'entraîner de façon différente, notamment en surfant. Et je n'exclue pas de partir en surf-trip avec mon meilleur ami Benjamin Dutreux (skipper OMIA-Water Family), en tout cas il me l'a demandé.
Il te l'a demandé... dernièrement ? (Benjamin est actuellement au large du Brésil, 7e du Vendée Globe)
Oui ! En fait on communique tous les jours ensemble. Il m'a dit qu'il n'en pouvait plus et qu'il avait hâte de retourner à l'eau.
"Il y a une vraie démarche scientifique auprès de la recherche météo, ça me passionne."
Revenons-en à tes débuts. Tu as grandi à Fontenay-le-Comte et partagé ta jeunesse entre Saint-Gilles-Croix-de-Vie et les Sables-d'Olonne. Te souviens-tu de ta rencontre avec le surf ?
Je crois que c'était au lycée, le mercredi après-midi avec les copains. J'ai commencé assez tard et je n'étais pas très assidu. Je touche un peu à tout et je n'excelle pas en surf. Par contre, c'est un des seuls sports que j'aime pratiquer hors compétition. Sinon, j'ai toujours cette volonté de gagner en permanence. Le surf me permet de me détendre, de me défouler. Je prends un plaisir fou à chaque fois que je vais à l'eau, seul ou avec mes potes. J'en ai besoin, j'ai toujours ma planche et ma combinaison dans la voiture.
Tu pratiques régulièrement ?
J'ai des copains qui surfent mieux que moi, dont Gaspard (Larsonneur, ndlr). Ils me donnent des conseils et mine de rien, je progresse un peu. J'aime beaucoup découvrir de nouveaux spots. Que ce soit en Vendée ou en Bretagne, avec mon vidéaste Martin Viezzer.
Météo marine, cartes, logiciels de prévisions... Bouffer de la stratégie météo et s'abreuver de données fait partie de ton métier. C'est quelque chose qui t'attire ou que tu fais par nécessité ?
J'adore ça en fait. D'ailleurs, j'ai hésité entre faire une école d'ingénieur ou de météorologie. Mais ces dernières sont situées en plein milieu de la France, pas simple pour faire du bateau... Il y a une vraie démarche scientifique auprès de la recherche météo, ça me passionne. J'adore confirmer ce que j'imagine, en observant les nuages ou en regardant les vents évoluer... J'ai appris au Pôle Finistère Course au large de la Forêt-Fouesnant (Finistère), c'est le seul en France. J'ai des formations tous les jours, en composite, mécanique, hydraulique, électronique et aussi en météorologie, ça fait partie de mon métier. La météo, ça prend du temps en fonction des courses et des échances : traversée de l'Atlantique, tour du Monde, parcours côtier... On a des formations adaptées. Il faut savoir qu'en voile chaque plan d'eau a ses particularités, c'est comme en surf. Et aujourd'hui, avec tous les moyens mis à notre disposition, c'est d'autant plus intéressant.
Et pour surfer, tu cogites autant ?
Non, je regarde les sites de prévisions et je jette un oeil sur la taille de la houle, la direction du vent, les marées... Et puis c'est tout. Après si je suis mort de faim, je vais ouvrir des fichiers météos plus précis. Mais je me prends assez la tête avec la course au large. Le surf, c'est juste du fun pour moi, un moyen de me libérer l'esprit.
Dans une interview pour Bateaux.com, tu avoues que ta zone de navigation favorite est la Bretagne. Et pour le surf ?
La Bretagne pour naviguer, c'est très intéressant. Même les parcours côtiers sont très techniques car en plus de la météo, on a la gestion des courants, de la côte avec les cailloux, des dangers à éviter... Pour le surf, je ne sais pas. Il y a pas mal de spots que j'adore en Vendée. En Bretagne, même s'il faut faire beaucoup de route car les spots sont éloignés les uns des autres, on a régulièrement des bonnes conditions notamment avec la découpe de la côte. J'ai fait mon école d'ingénieur dans le Sud-Ouest, vers Bordeaux. Et j'ai eu des sessions magiques dans les Landes, notamment à Hossegor. Mais c'est frustrant, les Landes. Dès que le vent est mal orienté, les conditions sont moins bonnes et ça peut durer longtemps.
Pour préparer l'IMOCA, tu passes des semaines entières à Port-la-Forêt (Finistère). Arrives-tu à te dégager du temps pour aller à l'eau ?
En effet j'y passe beaucoup de temps. Mon travail, c'est de bricoler sur le bateau mais aussi d'établir des programmes, m'entretenir physiquement, discuter avec mes partenaires, faire des représentations... Dès que j'ai un peu de temps pour moi, j'en profite pour aller surfer ou faire d'autres activités physiques.
En Finistère, tu as rencontré Gaspard Larsonneur avec qui tu as voyagé en Indonésie...
Gaspard, je l'avais rencontré avec Martin Lepape (ex-Macif) lors d'une sortie en Figaro. Il avait été invité pour faire des photos et j'étais à bord avec lui. Je me rappelle qu'il était un peu malade sur le bateau, et qu'il nous traitait de fous (il rit). Mais faut voir comment il surfe ! Par la suite, il m'a proposé de le rejoindre quelques jours en Indonésie avec Ronan Gladu et Martin Viezzer (vidéastes et photographes bretons) et m'a fait surfer des vagues incroyables. C'était une superbe expérience, et je lui ai promis de faire le match retour sur mon Imoca.
"Le surf est lié à la mer, alors forcément on y est attaché.."
Il nous a confié que malgré l'engagement requis, tu n'étais "clairement pas resté spectateur dans la passe"...
Mon dos se souvient du reef, j'ai encore des cicatrices alors que c'était en mai 2019. Mais je recule rarement devant un défi, j'aime bien aller au bout des choses et de moi-même. Même si là, ce n'était clairement pas de mon niveau. Je laissais les bombes à Gaspard et je partais sur les intermédiaires. Sans lui, je n'aurais même pas envisager surfer cette vague.
C'est lors de ce trip que tu as pris tes premiers tubes ?
Oui, j'ai passé six jours à essayer avant de réussir. La première fois, quand je suis sorti, j'ai fait un énorme claim. Ronan m'a dit que la prochaine étape, c'était d'apprendre le "no claim claim". Mais ça faisait des jours que j'essayais, que je me prenais la lèvre ou que je n'arrivais pas à me caler dedans... Alors quand j'ai réussi, j'étais fou.
Pour Benjamin Dutreux, surfeurs et skippers "faites partie d'une même famille". Quels sont points communs entre le surf et la voile ?
On est nombreux à surfer, même si on est pas des pros. Mais le surf est lié à la mer, alors forcément on y est attaché. Et puis il y a la question de la protection des océans. Benjamin la défend même directement. Skipper de course au large ou surfeurs, on est toujours à la recherche des meilleures vagues ou des meilleures conditions pour naviguer.
Lors du Vendée Globe, Arkéa Paprec faisait partie de ces navires équipés de foils. En tant que marin et ingénieur, quel intérêt as-tu développé pour cette technologie ?
Je ne vois plus les bateaux de course au large sans les foils. D'un point de vue personnel, je suis fier de faire partie de cette nouvelle génération de bateaux, semi-volants et volants. Dans les années à venir, on ne verra pas les bateaux archimédiens de la même manière. Ce dont j'ai envie, c'est continuer à développer ce genre de machine. Ça demande à être fiabilisé mais les perspectives sont tellement grisantes. Économiquement, ce sont des projets très chers et je suis content d'être soutenu par mes partenaires. Dans mon esprit, j'ai une revanche à prendre en 2024.
Tu as également testé le surf foil dans la baie des Sables...
En effet j'ai un surf foil, mais je ne suis pas très doué à ça. Et j'ai un moth à foil (petite embarcation de 2m50) aussi. Dans la baie des Sables ou en Bretagne, j'en fait souvent.
Selon les supports, les sensations sont similaires ?
En surf foil et en moth à foil oui car ce sont des supports légers et assez proches. Après en Imoca, un bateau qui fait pas loin de huit tonnes, forcément c'est différent. C'est un peu plus bourrin et quand il commence à monter sur son foil et à voler, on sent que les efforts deviennent colossaux. Faut pas traîner sur le chemin des écoutes et des poulies. C'est assez fou. En tout cas, quand on a goûté à ces sensations de glisse et d'accélération, c'est difficile de s'en passer.
Photo à la une : ©Éloi Stichelbaut/polaRYSE/ARKEA PAPREC
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